Henri Morez (1922-2017) – Le rire et les larmes

Artetvia reprend du service, de temps en temps… Aujourd’hui partons découvrir le peintre et surtout le caricaturiste Henri Morez. Son histoire est aussi étonnante que méconnue.

Henri Morez est né en 1922 à Iasi, dans l’actuelle Moldavie, à l’époque faisant partie de la Grande Roumanie, dans une famille juive très pauvre d’expression yiddish. Le pays, alors dirigé par le roi Ferdinand Ier, est un chaudron bouillonnant dont un quart de la population est issue des minorités, en particulier hongroise, allemande, tzigane et juive, et qui est traversé par de profondes fractures économiques, politiques et sociales. Pour la famille du jeune Hers Askenasi – son nom de naissance – l’avenir est sombre. En 1927, il faut fuir.

Henri MorezLa famille s’installe à Paris. Le jeune Hers y apprend le français et y exerce des dizaines de petits métiers, notamment tailleur – un métier qu’il détestait d’ailleurs. Il découvre aussi la peinture. Très jeune, il est repéré par Emmanuel Mané-Katz (1894-1962), l’un des représentants de la Première Ecole de Paris, originaire lui aussi d’Europe de l’Est. A ses côtés, dans son atelier de la rue Notre-Dame des Champs, il apprend le métier. Morez lui en sera redevable toute sa vie « Mon vrai père, c’est lui » dira-t-il plus tard. Et par son entremise, il est accepté par le jury du Salon d’Automne 1938 au Palais de Chaillot. C’est le plus jeune des exposants.

La guerre vient tout bouleverser. Réfugié à Moisville, dans l’Eure, le jeune peintre passe la guerre comme garçon de ferme, sous un faux nom (Georges Bénard). Dénoncée, sa famille est arrêtée et déportée. Il ne la reverra plus. Toute sa vie sera hantée par ce souvenir et le marquera à jamais. Dans son œuvre, l’humour de l’ancien enfant du shtel se teintera ainsi toujours d’une gravité propre aux personnes laissées trop tôt seules.

Le dessinateur

Henri Morez 2En 1945, il se découvre une vocation graphique et commence à collaborer – à titre bénévole – à Jeune Combat, organe de rassemblement de la jeunesse juive, issu de la résistance, et à la diffusion assez confidentielle, il faut le reconnaître.

L’année suivante, c’est le vrai lancement de sa carrière professionnelle d’illustrateur de presse. Il travaille pour la revue Droit et Liberté, journal diffusé par l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide. Clandestin pendant la guerre, le titre parait au grand jour à la Libération. Ce seront les prémices d’une brillante carrière qui le conduira dans de très nombreuses rédactions. Sous le pseudonyme de Sernier, il se met tout d’abord au service de la presse du Parti Communiste – La Vie ouvrière (à l’époque, premier hebdomadaire de France) et L’Humanité Dimanche. Krokodil, le célèbre journal satirique soviétique reprend même l’un de ses dessins : une grande première pour l’Humanité qui fête l’événement au champagne. Peu après, ayant dénoncé les mesures antisémites du nouveau régime communiste roumain, il est limogé. Il se tourne alors vers un autre type de presse ; rien ne l’arrête : revues, hebdomadaires, quotidiens nationaux ou régionaux…

Pendant plus de vingt ans, il croque l’actualité avec humour pour Ici Paris, Paris-Match, Jours de France, Le Figaro littéraire, Le Pèlerin, Notre temps, Panorama Chrétien, Le Rire, Le Progrès de Lyon, L’Est Républicain, Le Midi Libre, Le Dauphiné Libéré, France Dimanche, Elle

Son talent est récompensé : en 1954, il reçoit le prix Carrizey du meilleur dessinateur humoristique, un an après Pierre Henri Cami. Dix ans plus tard, en décembre 1964, un recueil, Cocktail avec un trait de Morez, est publié chez Dupuis dans la collection Gag de Poche, aux côtés de Boule et Bill, Lucky Luke et Gaston Lagaffe.

Son trait vif et sobre, tendre et triste à la fois fait de lui l’un des grands de son époque, aux côtés de Sempé, Faizant, Trez ou Piem.

 

Le peintre

A la fin des années 1960, lui le dessinateur reconnu et estimé, revient à ses premières amours, la peinture. Suscitant le scepticisme à ses débuts « il n’arrivera pas à se libérer du dessin » disait-on de lui, il parvient néanmoins à faire sa place dans le milieu parisien, en tant que peintre. Pour sa première grande exposition de peintures en 1968, il frappe un grand coup en étant accueilli chez Katia Granoff, qui avait œuvré auparavant à la reconnaissance de Chagall, Soutine, Utrillo ou encore Dufy. Dès l’année suivante, il expose place des Vosges (à la Bazarine).

De son atelier de la rue Notre-Dame de Champs, qui fut celui de Mané-Katz et d’Othon Friesz, il poursuit son travail tout aussi « plastique » qu’intérieur. En 1977, nouvelle épreuve, son épouse Michèle meurt des suites d’une longue et douloureuse maladie.

Avec l’âge, le trait se fait plus épuré, les angoisses existentielles plus présentes. Ses amis René Goscinny, Jean-Jacques Sempé – dont il est inséparable – ou Daniel Mayer, président de la Ligue des droits de l’homme, lui sont d’un grand secours. Albert Uderzo également, qui le soutiendra financièrement.

A la fin de sa vie, il rédige plusieurs ouvrages, dont A-fou-rismes (2013) et surtout L’air était saturé de peur (2015) qui retrace son enfance et surtout la guerre et la mort de sa famille.

Il s’éteint à Paris le 11 octobre 2017.

 

Le style

Morez allie la concision et l’esprit de synthèse, propre au caricaturiste, à la profondeur et l’intériorité du « peintre de la solitude ».

Son humour, indéniable, n’est ni corrosif, ni même mordant. Son trait est légèrement piquant et en même temps empli de bonté envers ses contemporains dont il croque malicieusement les travers. Ses sujets préférés ? La vie quotidienne et ses petits tracas, les femmes, les enfants. Un antidote contre la morosité ambiante !

Son œuvre peinte est beaucoup plus grave, avec un thème lancinant qui revient fréquemment : la solitude. Solitude de l’homme face au monde et du peintre face à sa toile. Les formes très épurées, géométriques, à la limite de l’abstraction, ainsi que la taille, parfois immense, de ses toiles, renforcent ce sentiment de vertige et d’éternelle fuite, qu’il pense devoir à ses mois de cavale en Normandie pendant la guerre. On aime chez lui la sincérité avec lequel il peint. Pour reprendre un terme du Figaro (17 mai 1968), sa peinture est « très attachante ». C’est aussi ce qui fait son charme.

Drôle Morez ? Certainement. Mais à la fois Auguste et Pierrot. Un clown triste, qui nous ravit encore aujourd’hui.

Vous appréciez les oeuvres d’Henri Morez ? Une vente a bientôt lieu à l’Hôtel Drouot – http://www.lhuillierparis.com/html/index.jsp?id=90273&lng=fr&npp=10000

 

 

Au revoir !

Chers lecteurs,

après cinq ans de publications, l’aventure d’Artetvia doit malheureusement prendre une nouvelle orientation, non sans regrets. Mes activités professionnelles prenant de l’importance, avec de nouveaux projets touristiques et culturels passionnants mais très prenants, je ne puis plus assurer la mise à jour régulière d’Artetvia. Déjà depuis, deux ans, j’ai du ralentir le rythme élevé de la publication.

155 articles, 24 artistes rencontrés, plus de 150 000 visites, l’aventure fut belle, indéniablement. Dans la présentation du site, j’écrivais en 2012 « Artetvia veut simplement faire découvrir en amateur (au sens premier du terme, qui aime) quelques œuvres du patrimoine culturel et artistique, des artistes qui donnent au beau la première place, des lieux chargés d’histoire et de génie. ». J’espère avoir peu ou prou atteint ce but.

Je remercie les lecteurs fidèles pour leur soutien, sans qui Artetvia aurait depuis bien longtemps fermé boutique.

Néanmoins le site restera en ligne. Vous aurez donc tout le loisir de parcourir ses pages, admirer de beaux tableaux et écouter de la belle musique. Si des lecteurs veulent soumettre des articles, je les publierai volontiers.

 

Hilaire Vallier

 

PS : remarque subsidiaire. Que fais-je donc de si prenant ?

  • Du conseil en communication et marketing touristique et culturel, avec le cabinet Alboflède.
  • De la musique, en étant chef de choeur à la paroisse Sainte-Elisabeth-de-Hongrie (Paris) et flûtiste-chanteur avec l’ensemble Velut Umbra.
  • De l’enseignement, en études supérieures spécialisées dans le patrimoine et la culture.
  • Du journalisme, sur les thèmes du patrimoine et de la musique.

Les Fables de Jean de la Fontaine illustrées

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« La Cigale, ayant chanté tout l’été, se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue ». Nous la connaissons tous, bien entendu, cette fable. C’est la toute première de l’œuvre magistrale de Jean de La Fontaine (1621-1695) qui compte 243 fables, réunies en 12 livres.

Louis-Maurice Boutet de Monvel

Louis-Maurice Boutet de Monvel

Ce recueil est un monument de la littérature française – relisez une fable chaque soir, vous verrez que c’est vraiment puissant et loin d’être seulement pour les poésies des enfants – un style vigoureux, non dénué d’humour et des « morales » tout à fait actuelles. La Fontaine croque les travers de l’être humain et de la société avec un certain plaisir, qui peut certes parfois tirer vers le rire jaune.

Ces fables offrent aux illustrateurs une belle occasion d’exercer leurs talents. Avec la Bible, c’est peut-être le livre le plus souvent illustré en France. Il faut dire que la plupart mettent en scène des animaux, dans des situations variées, plus ou moins cocasses, très « humaines ». Tout cela permet aux artistes de laisser cours à leur imagination fertile. Parmi ces illustrations, il y a de petits chefs-d’œuvre !

Gustave Doré

Gustave Doré

On ne parle pas ici des chromos publicitaires du XIXe siècle, de plus ou moins – mais surtout moins – bon goût, ni des dessins affreux de quelques soi-disant artistes de notre temps, qui ôtent toute velléité de lecture… (c’est peut-être le but). Non, nous parlons de jolies images qui font rêver, sourire, imaginer. Par exemple, les oeuvres de Gustave Doré (1832-1883), bien connues, avec force détails et une grande finesse dans la gravure, mais aussi celles de bien d’autres illustrateurs qui s’en sont donnés à cœur joie !

On pense par exemple à Benjamin Rabier (1864-1939), qui avec l’humour qui le caractérise (ben oui, pourquoi la vache qui rit, rit, c’est lui ? Gédéon ? C’est encore lui) a croqué avec une visible sympathie les malheurs du loup ou les roueries du renard.

Benjamin Rabier - La Fontaine

Benjamin Rabier

Autre dessinateur, Christophe (1856-1945) – pas le chanteur, évidemment – l’auteur du Sapeur Camembert et de la Famille Fenouillard. Moins truculent que ces deux ancêtres de la bande-dessinée, mais tout aussi efficace.

Restons à la même époque avec Louis-Maurice Boutet de Monvel (1850-1913), illustrateur bien connu de la Civilité puérile et honnête (comment, vous ne connaissez pas ?). Même Jean-Adrien Mercier s’y est mis, avec son habituelle utilisation de couleurs pâles et ses damoiseaux en habits à la française roses.

Citons également, pêle-mêle Gustave Moreau (si, si), Jean-Baptiste Oudry, Raymond de la Nézière, Auguste Vimar, Armand Rapeno, Marcel Jeanjean, Charles-Boris de Jankowski… En fait, beaucoup, beaucoup de monde.

Jean-Adrien Mercier

Jean-Adrien Mercier

Au fait, les anciennes éditions étaient-elles illustrées ? A priori, oui, dès la première édition, par François Chauveau (1613-1676), comme quoi, l’œuvre littéraire et son illustration sont vraiment inséparables.

La prochaine fois que vous lirez les Fables, privilégiez les éditions qui proposent des illustrations de qualité. On n’en retient que plus leur substantifique moelle.

François Chauveau

Arvo Pärt, le grand

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Connaissez-vous Arvo Pärt ? Il est Estonien. C’est un compositeur né en 1935. L’un des plus grands toujours vivants. Ces pièces musicales sont belles. Voilà.

Ceux qui ont le courage d’aller plus loin peuvent donc lire cet abécédaire, pour avoir une connaissance « impressionniste » du compositeur. Comme il manque quelques lettres, je compte sur les lecteurs pour compléter.

A comme Alina : Für Alina marque un tournant dans la carrière d’Arvo Pärt ; c’est une pièce de transition entre la première partie de sa vie de compositeur durant laquelle Pärt suit la mode occidentale de son temps : le dodécaphonisme et le sérialisme, et la deuxième partie où la recherche du pur son le rapproche de la musique ancienne et notamment du plain-chant.

B comme Berlin : la ville qui l’accueillit, après un court passage à Vienne, suite à son exil forcé d’Estonie en 1980. Il y vécut près de vingt ans et c’est là qu’il composa ses plus beaux morceaux. Depuis, il est revenu dans son pays natal, même s’il a acquis la nationalité allemande et qu’il revient à Berlin régulièrement.

C comme collage sur B-A-C-H : une œuvre de jeunesse (1964), « amusante » dans sa structure, avec un thème Si-La-Do-Sib (comme les lettres composant le mot Bach), mêlant des passages qu’auraient pu écrire le cantor de Leipzig et des passages beaucoup plus contemporains.

D comme dodécaphonisme : le grand modèle de la jeunesse de Pärt – Avec le dodécaphonisme, la musique devient atonale et chacune des douze notes de la gamme ont une égale importance. Ecoutez du Schönberg, du Webern ou du Berg et vous verrez. C’est spécial quand même.

E comme écriture : l’écriture de Pärt est un long travail. Si certains compositeurs trouvent leur style très jeune, pour Pärt, ce fut un long et tortueux chemin. Passée la fougue de la jeunesse, il s’arrêta presque de composer pendant dix ans (1968-1976), le temps de mûrir sa propre esthétique. Bien lui en a pris car le résultat est somptueux.

F comme Fratres (1977) : la pièce que je préfère (et je ne suis pas le seul), surtout dans sa version pour violon et piano (moins dans sa version orchestrale). Les deux instruments dialoguent et se fondent. Le thème récurrent des accords frottés puis en pizzicato rythme la pièce. C’est magnifique.

G comme chant grégorien ou plutôt plain-chant : Arvo Pärt puise son inspiration dans le plain-chant et son économie – des longues et des brèves, pas de rythme au sens contemporain du terme mais des phrases entières comme de longues respirations. Pas de tonalité mais une musique modale.

I comme ingénieur du son : c’est le premier métier d’Arvo Pärt, ce qui lui donnera une certaine acuité sonore. Son son est précis et juste. Point trop n’en faut, juste le nécessaire pour exprimer l’essentiel.

J comme Josquin des Prés : le grand compositeur de la Renaissance (1450-1521), sur lequel Pärt travaillera, à une époque où ce répertoire était passablement oublié, comme source d’inspiration pour son écriture propre et non comme pastiche.

K comme Kanon Pokajanen (1997) : une œuvre majeure, commandée par la cathédrale de Cologne pour ses 750 ans. Le retour à la foi et à la musique sacrée de son enfance est ici patent.

L comme liturgie : Pärt n’est pas un liturgiste au sens propre du terme, mais l’influence de la liturgie orthodoxe est visible dans son œuvre chorale – cf. musique sacrée.

Arvo PärtM comme minimalisme : s’il fallait faire rentrer Pärt dans une case, pour ceux qui aiment ça, nous pourrions dire que c’est un compositeur minimaliste. En réalité, si sa musique est épurée, le sens qu’elle porte n’est pas a minima. Evidemment pour ceux qui aiment le style de Richard Clayderman ou celui de Gigi d’Agostino, il faut reconnaître que c’est assez éloigné du style de Pärt (même si on peut aimer et Pärt et Gigi d’Agostino).

O comme Ockeghem : autre grand compositeur ancien dont Pärt s’est fortement inspiré. Et puis, il fallait bien trouver un mot commençant par O.

P comme patrie : sa patrie c’est l’Estonie, en particulier Talinn ou Pärt fut formé et où il habite désormais. Au bord de la Baltique, c’est une ville mystérieuse et envoûtante qui a façonné le compositeur. C’est là qu’il a appris à jouer de la musique (piano, hautbois) et à écrire.

R comme Rakvere : petit village d’Estonie où Arvo Pärt apprit à jouer du piano. La légende dit qu’il était particulièrement faux, sauf les registres extrêmes et que cela a permis au compositeur de se diriger vers une autre musique et d’explorer d’autres possibilités.

– Passez les deux premières minutes de bla-bla…

S comme musique sacrée : s’il y a un compositeur actuel qui écrit de la musique sacrée, c’est bien lui. Et l’on sent que ce n’est pas un placage d’un texte anodin sur des notes, mais qu’il y a vraiment une méditation sur les paroles du texte. Ecoutez le Requiem ou le Magnificat, vous serez convaincus.

T comme tintinnabuli : le noyau fondateur de la musique de Pärt, à mi-chemin entre la simplicité du son des cloches, le mélange « fusionnel » des notes et des voix et les accents du chant orthodoxe.

U comme Union soviétique : Pärt eut à souffrir de la censure soviétique. D’abord parce qu’il adoptait les formes occidentales de musique contemporaine, donc forcément dégénérées, et surtout parce qu’il écrivait des pièces de musique sacrée. A l’époque où Dieu était mort, c’était un sacrilège !

V comme musique vocale : Pärt écrit aussi bien de la musique instrumentale que la musique vocale. Les enregistrements avec le Hilliard ensemble ont fait date !

C’est grand, c’est beau, n’est-ce pas ?

 

Julien Prouvot, commissaire priseur – conseil en art

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Bonjour Julien, comment pourrais-tu te présenter ? Et qu’est ce qui t’as amené à t’orienter vers le secteur du marché de l’art ?

Je suis commissaire-priseur de formation, et je me suis tourné vers le conseil dans le domaine des objets d’art. J’ai baigné dans un milieu familial féru d’art, avec un père lui-même commissaire-priseur. Après les études classiques pour exercer ce métier : droit, histoire de l’art, école du Louvre, j’ai passé un concours d’entrée (examen d’aptitude) à la profession de commissaire-priseur avec un stage professionnel de deux ans puis un examen de sortie. Hé oui, ce sont de longues études !

Et pour répondre plus largement à ta question, le métier repose sur deux piliers : une solide connaissance artistique, bien entendu, mais aussi, et certains l’oublient, un grand sens du relationnel et de l’écoute. J’y reviendrai tout à l’heure.

Et tu t’es spécialisé ?

On me demande régulièrement quelle est ma spécialité. Je dirai qu’au bout de vingt ans, je me suis constitué un catalogue d’images dans la tête : je suis plus familier des tableaux et dessins anciens (XVIe-XIXe siècles). Mais en fait, ce sont les occasions qui font la spécialité. Par exemple, en travaillant sur un objet chinois, j’ai approfondi mes connaissances dans ce domaine. Cela dit, il faut savoir rester humble, personne ne pourra embrasser l’ensemble des connaissances universelles en matière artistique. L’essentiel, est, je pense, de savoir quoi et où chercher, avec la bonne documentation et la bonne personne. C’est là tout l’art du conseil-expert.

Alors justement, en quoi consiste ton métier exactement ?

Brûle-parfum Qianlong

Brûle-parfum Qianlong

Depuis sept ans, j’exerce le métier de conseil en tant qu’indépendant, ce qui me donne une objectivité et une liberté certaines. Mon cœur de métier est le suivant :

  • L’assistance aux familles et aux collectionneurs pour la conservation et donc la transmission de leur patrimoine mobilier. Je réalise en quelque sorte des « audits », en conseillant les familles dans les partages, en matière de fiscalité, etc. ; si besoin, je les dirige vers le bon artisan d’art si les œuvres nécessitent une restauration. A chaque client une situation différente : j’apporte un conseil sur-mesure. Il faut surtout être à l’écoute, faire preuve de psychologie, car dans une œuvre d’art, il y a souvent beaucoup d’affect. Les partages de biens mobiliers sont des occasions qui révèlent la vraie nature des liens familiaux. Mon objectif est donc d’apaiser ces moments de tension.
  • Deuxième métier, lié au premier : le conseil en vue de vente, pour valoriser d’une part le bien (optimiser sa valeur par des recherches historiques et scientifiques) et d’autre part pour trouver le meilleur acheteur, public ou privé, que cela soit par le biais d’une vente aux enchères ou de gré à gré. Par ailleurs, certains me sollicitent pour acheter des œuvres comme placement de diversification.

En bref, j’offre les services que proposent les grandes maisons du marché de l’art, à prix plus compétitifs et un service vraiment personnalisé.

Amélie Beaury-Saurel - Après déjeuner

Amélie Beaury-Saurel – Après déjeuner (détail)

Donc, si j’ai bien compris, par exemple tu fais surtout des inventaires après décès ?

Pas exactement, car certaines personnes font appel à moi pour préparer les partages de leur vivant, en présence de leurs enfants, et pas forcément après décès. Dans ce cas, mon métier consiste à inventorier l’entier contenu d’une maison, du tableau de maître au piano, en passant par la tondeuse à gazon !

Et qu’est-ce qui te plaît le plus dans ton métier ?

La recherche et les relations humaines. Si le notaire est une oreille pour les familles, le commissaire-priseur en est une autre.

Tu as un exemple de recherche ?

Bien sûr ! Je vais t’en donner deux. Il y a quelques années, j’ai travaillé sur un fonds de dessin, en vue de vente, de Joseph-Ferdinand Lancrenon, un élève de Girodet. C’était un travail passionnant ! Autre exemple : je suis en train de trier et classer près de 700 aquarelles de Philippe Dauchez, un peintre de marine mort il y a trente ans, en vue d’une vente qui aura lieu en octobre prochain à Drouot. J’en profite pour signaler qu’une partie des honoraires et des recettes de cette vente sera reversée à l’œuvre du Père Matthieu Dauchez à Manille.

Philippe Dauchez - L'île d'Elbe

Philippe Dauchez – L’île d’Elbe

En général, j’essaie de faire moi-même les recherches, cela dit, il faut savoir s’entourer. C’est vraiment passionnant de faire des recherches sur l’objet, son histoire, sa provenance, son caractère unique, son intégrité, le cadre dans lequel il a été conçu… Et c’est tout aussi passionnant de trouver un acheteur et de faciliter la transaction.

Quel objet t’a le plus marqué ?

Indéniablement une table à thé, portant une plaque de porcelaine de Sèvres ; cette table princière est la première d’une petite série (une douzaine) et la mieux préservée à ce jour. Ce meuble a obtenu le second prix pour un meuble français du XVIIIe siècle vendu en France. C’est un meuble merveilleux. Et pourtant, je l’ai trouvé conservé dans une simple chambre, sans que les propriétaires ne le mettent en valeur…

Certains affirment que le marché de l’art est en crise profonde. Qu’en penses-tu ?

Il serait difficile de donner une réponse complète, et donc forcément complexe, en quelques lignes. Cela dit, il faut être lucide : pour aimer les objets d’art, il est nécessaire d’avoir été formé, pas forcément de manière « académique », mais au moins d’avoir été formé au goût. C’est ce qui est en train de disparaître : on n’apprécie plus les belles choses car on recherche le fonctionnel et le pratique. On ne collectionne plus, on n’apprend plus à voir. Les gens ne sont plus sensibles à une émotion artistique, même s’ils courent visiter les expositions sans décrypter réellement les œuvres.

Julien Prouvot

Julien Prouvot

Alors que l’art est fondamental pour le bonheur de la personne humaine. Avec la spiritualité, c’est ce qui fait vibrer notre vie, tout en nous replaçant dans la grande continuité de nos prédécesseurs qui ont créé ces objets, dont nous sommes les dépositaires. Les objets d’art permettent de se réapproprier notre histoire, personnelle ou collective. C’est important, nous avons besoin de racines. Mon métier sert donc aussi à redonner le sens du beau, le sens de notre patrimoine et de l’excellence française.

Merci Julien !!

http://www.prouvotartpatrimoine.com

L’ensemble Velut Umbra en vidéo

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Les fidèles lecteurs d’Artetvia se souviendront peut-être des concerts pédagogiques organisés par l’animateur de ce site.

L’activité prenant de l’ampleur, un film de promotion a été tourné.

N’hésitez pas à la diffuser largement. Notre cible :

  • les écoles ;
  • les maisons de retraite ;
  • les centres de loisirs.

Mais aussi :

  • les particuliers : hé oui, cela nous est déjà arrivé. Un particulier ouvrant son salon à ses amis pour un concert privé. L’organisateur peut même demander une participation modique à ses invités – A vingt ou trente spectateurs, les frais sont remboursés et tout le monde a passé une excellente soirée, bien plus sympathique qu’un concert prestigieux à 150 euros la place !
  • les mairies : dans le cadre de la politique culturelle de la ville ou des actions en faveurs du public scolaire, etc… N’oubliez pas que, comme le dit Jacques Brel dans l’Aventure c’est l’aventure « La politique, c’est du show-business »
  • les entreprises : dans le cadre d’un moment de détente ou au milieu d’un séminaire de travail. Le lien avec les compétences requises en entreprise sont réels (clarté du discours, prise de parole en public, travail en équipe…).

Par avance, merci !

Ensemble Velut Umbra

L’église Saint-Eugène à Paris

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150ème article pour Artetvia ! Autant le consacrer à un sujet qui me tient à chœur : l’église Saint-Eugène à Paris. C’est une église qui m’est particulièrement chère à divers titres. Aujourd’hui, nous n’allons évoquer ni sa liturgie fastueuse, ni sa chorale paroissiale, dirigée par Henri de Villiers, ni son organiste titulaire Touve Ratovondrahety, également pianiste à l’Opéra, mais sa construction et son architecture.

Au XIXe siècle, les faubourgs parisiens débordent, la ville s’étend. Le faubourg Poissonnière se peuple. Pour assurer un « service spirituel  de proximité », il faut donc ériger de nouveaux lieux de culte, au-delà des boulevards. Grâce à la ténacité (et à la bourse) du premier curé, l’abbé Joseph Coquand, un projet est lancé : une église sera construite près de la rue du Faubourg-Poissonnière, à proximité de l’ancien hôtel des Menus-Plaisirs, qui, d’ailleurs, était davantage une administration dédiée aux cérémonies, fêtes et spectacles, qu’un lieu de plaisirs plus ou moins licites, et qui deviendra l’actuel Conservatoire d’Art Dramatique.

Sitôt le lieu choisi, la construction débute : elle sera très rapide, puisqu’en vingt mois (entre 1854 et 1856), tout est fait. Louis-Auguste Boileau, son architecte, a bien travaillé : il a pu faire sortir de terre une nouvelle église, révolutionnaire dans sa construction. Pourtant rien n’y paraît à première vue.

Eglise Saint-Eugène - FaçadeAujourd’hui encore, lorsque le passant longe la rue du Conservatoire, il remarque à peine ce bâtiment de taille relativement modeste, sans réel parvis, ni véritable clocher, ni décrochement marqué dans l’alignement des immeubles. Au sud, la façade néogothique, pastiche des constructions du XIIIe siècle, ne paie pas de mine – l’ensemble est sobre et dépouillé, même les niches sont vides de leurs statues. Le flanc ouest est passablement en mauvais état : une pierre rongée et salie par le temps et la pollution. Le visiteur pourrait s’arrêter là : circulez, il n’y a rien à voir ! S’il était un tantinet curieux, il entrerait dans l’édifice. Et là, le contraste est saisissant : l’intérieur de l’église est entièrement peint, les murs, les voutes, les colonnes. Rassurez-vous, rien de criard, mais plutôt un camaïeu de couleurs automnales rehaussées de vert et de bleu profonds. Quoiqu’assombrissant un peu l’ensemble, cela se marie bien avec le bois, très présent : balustrades, bancs de communion, chaire, sol en parquet, etc. Et puis, cette peinture masque la spécificité de cette église, la première du genre à Paris : sa structure est en métal et non en pierre. Hé oui, si les colonnes de la nef sont si minces, c’est tout simplement parce qu’elles sont en fonte. Bien sûr, l’église n’est pas une boîte en fer blanc : les murs sont construits tout de même en pierre, mais ils ne servent que de « remplissage », autour d’un squelette métallique. Ce qui permet du même coup de prendre la place la plus large possible dans cet espace restreint : pas de transepts, ni véritable bas-côtés, encore moins d’arcs-boutants. En plein Second Empire, c’était révolutionnaire, surtout pour un édifice religieux !

Eglise Saint-Eugène - Intérieur

Quand vous y entrez, vous sentez immédiatement une atmosphère paisible et priante. N’ayant pas subi les affres liturgiques des années 1970, le mobilier est dans son jus et utilisé, ce qui, évidemment, donne une certaine unité à l’ensemble. Admirez les beaux lustres et les verrières (de Gaspard Gsell et d’Antoine Lusson) qui rajoutent de la couleur dès que le soleil luit, les tribunes ou encore l’imposant baptistère.

Eglise Saint-Eugène - Autel

A la tribune, se dresse le monumental orgue, construit par Joseph Merklin, un Badois résidant à Bruxelles, pour l’exposition universelle de 1855 et monté à Saint-Eugène en 1856. Le buffet a néanmoins été construit par Boileau pour qu’il s’intègre au mieux dans l’édifice. C’est un instrument puissant mais à la sonorité très chaude, avec une spécificité organistique, les accouplements sont inversés, le récit étant le clavier totalisateur (et non le grand orgue).

L’église est placée sous le vocable de saint Eugène, un saint homme mort martyr à Deuil-la-Barre (Val-d’Oise) dont on ne connaît du reste pas très bien la vie. Mais c’est aussi (et surtout ?) le patron de l’impératrice Eugénie (les-larmes-aux-yeux ?), marraine de l’édifice.

Une chouette petite et belle église qui mérite une visite et même bien plus.

Eglise Saint-Eugène - Voûte

Les Ténèbres

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Ca y est, nous entrons bientôt dans la Grande Semaine. La liturgie catholique témoigne du caractère exceptionnel de ce sommet de la vie chrétienne, véritable centre de gravité de l’année liturgique. Si les offices de la messe solennelle de la Cène du jeudi, des Présanctifiés du vendredi et de la Vigile Pascale du samedi sont bien connus et fréquentés, les Ténèbres le sont beaucoup moins, malheureusement.

Les Ténèbres ? Ce sont tout simplement les matines des trois jours saints, chantées durant la nuit – d’où leur nom. Chaque office est composé de trois nocturnes, eux-mêmes comportant trois psaumes, trois leçons et trois répons, le tout s’achevant par la récitation des laudes. Après chaque psaume, un cierge est éteint et l’église est finalement plongée dans la nuit. Un unique cierge allumé demeure pourtant, placé momentanément derrière l’autel et symbolisant, comme le dit Dom Guéranger, le Christ crucifié, abandonné de tous mais vainqueur de la mort.

C’est long, mais c’est beau, très beau même ! Les textes sont magnifiques, tirés des écritures (psaumes, épître aux Hébreux, etc.) ou des commentaires de saint Augustin, sans oublier, pour le premier nocturne de chaque jour, les poignantes Lamentations du prophète Jérémie.

En France, aux XVIIe et XVIIIe siècles en particulier, la foule se pressait pour entendre ces longs offices, souvent chantés la veille au soir. Les plus grands compositeurs étaient alors sollicités pour mettre en musique tout ou partie de ces textes, dont la force émotive et spirituelle était pour eux une source inépuisable d’inspiration. Et ils s’en sont donnés à cœur joie !

C’est ainsi que l’on connaît bien, à juste titre car d’une grande beauté, les Leçons de Ténèbres de François Couperin (1668-1733), encore aujourd’hui maintes fois interprétées, malheureusement trop rarement dans un cadre liturgique. Citons également les nombreuses et belles pages de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) : 153 numéros du catalogue de ses œuvres sont consacrés aux Ténèbres – le saviez-vous ? Le catalogue des œuvres de Charpentier a été réalisé en 1982 par un Américain du nom d’Hugh Hitchcock, c’est pour cela d’ailleurs que les œuvres sont numérotées HXXX. Un peu comme Köchel pour Mozart – Ou Guillaume-Gabriel Nivers (1632-1714), ayant composé par exemple un superbe Miserere pour les Ténèbres, à l’usage des demoiselles de Saint-Cyr. Michel-Richard de Lalande a lui aussi prêté sa plume et son génie pour des Leçons de grande qualité. Hors de France, le Padre Martini (1706-1784) est l’auteur de simples et sublimes répons à trois voix d’hommes chantés par exemple chaque année dans la paroisse Saint-Eugène de Paris.

Alors n’hésitez pas, venez, voyez et écoutez !

François Couperin

Cristobal de Morales

Martini – Enregistrement en « live » à Saint-Eugène

Exposition « Jean-Baptiste Charcot, l’explorateur légendaire » à Neuilly

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Cela faisait longtemps qu’Artetvia n’avait pas écrit de notice sur une exposition, la dernière était consacrée à Waterloo à la bibliothèque Paul-Marmottan. Aujourd’hui, filons à Neuilly.

« D’où vient donc l’étrange attirance de ces régions polaires […] d’où vient le charme inouï de ces contrées pourtant désertes et terrifiantes ? ». Cette question, Jean-Baptiste Charcot (1867-1936) se la posera durant toute sa vie de médecin explorateur ; une mystérieuse attirance qui lui donnera une stature de héros national… et finalement l’emportera.

Jean-Baptiste CharcotNé à Neuilly-sur-Seine en 1867, fils d’un neurologue de renom (le « fondateur » de la maladie qui porte son nom), le jeune Jean-Baptiste est envoyé dans la très élitiste et très laïco-protestante Ecole Alsacienne où il fait montre d’un grand talent pour le sport : plus tard, il sera champion de France de rugby et médaillé olympique en voile aux Jeux de 1910. Ses études de médecine achevées – il est docteur en 1895 – Charcot se tourne très vite vers les voyages et les explorations maritimes : remontée du Nil, croisières scientifiques au nord de l’Ecosse (îles Shetland, îles Hébrides), en Islande… Les régions froides l’attirent. Il passera donc le restant de ses jours à explorer les dernières contrées inconnues de la planète : les pôles. Deux grandes expéditions en Antarctique, dont des hivernages, puis, après la guerre, des voyages dans le nord : Islande, îles Féroé, Groenland. Cartographie, météorologie, zoologie, botanique, ethnographie (avec notamment Paul-Emile Victor), ses études sont complètes, précises et de grand intérêt. On lui doit en particulier une cartographie exceptionnelle des côtes de l’Antarctique. Le 16 septembre 1936, le Pourquoi pas ? fait naufrage sur les côtes d’Islande lors d’une violente tempête – personne ne survit sauf un timonier breton. La France pleure son héros et il a droit, malgré son peu de penchant pour la religion, à des funérailles nationales célébrées à Notre-Dame de Paris.

Jean-Baptiste CharcotNeuilly-sur-Seine l’a vu naître et lui rend hommage aujourd’hui par une courte mais belle et intéressante exposition. De très nombreuses photographies et films d’époque sont présentés, Charcot ayant très tôt senti l’importance de « médiatiser » ses recherches scientifiques. Ces documents exceptionnels permettent au public de s’immerger dans le rude quotidien d’un scientifique de haute volée travaillant dans un environnement particulièrement hostile. On reste d’ailleurs stupéfait des prouesses réalisées avec un matériel qui nous apparaît aujourd’hui comme très rudimentaire. Le confort n’était certainement pas le souci premier de ces héros…

Outre les photos, plusieurs objets sont présentés : des outils scientifiques (savez-vous ce qu’est un courantomètre ?), des maquettes de ces principaux bateaux (le Français et le Pourquoi pas IV ?, tous les deux navires à voiles) et surtout des objets personnels : son épée d’académicien (des sciences), ses nombreuses décorations, et même une paire de ski lui ayant appartenu.

Charcot dans la hune du Pourquoi pas ? (si, si !)

A noter aussi la présence de deux magnifiques tableaux du peintre de marine Marin Marie, qui a participé à deux expéditions avec Charcot.

A visiter absolument au théâtre des Sablons à Neuilly jusqu’au 27 avril 2017. En plus c’est gratuit !

Le duduk

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Le duduk ? Le duc de quoi ? Non ? Un canard alors. Non plus. Alors, ne serait-ce pas une fête populaire à Mons en Belgique. Caramba, encore raté.

Le duduk est un instrument de musique. De la famille des aérophones (c’est le terme « scientifique » pour dire instrument à vent) à anche double, comme notre hautbois occidental. Il est le fleuron et le plus emblématique des instruments d’Arménie. Pour les Arméniens, c’est l’instrument qui exprime le mieux l’esprit national – le Volkgeist diraient les Allemands. La légende dit même qu’il remonte au roi arménien Tigrane le Grand, roi d’Arménie entre 95 et 55 avant Jésus-Christ, preuve s’il en est qu’il est ancré dans l’histoire et la tradition de ce pays. Même s’il est joué principalement en Arménie, on le rencontre aussi en Azerbaïdjan, en Iran et en Géorgie.

DudukLe corps de l’instrument est fabriqué le plus souvent en abricotier, un bois relativement tendre, qui est d’abord mis à sécher pendant vingt ans au moins. Après seulement, le facteur pourra creuser le bois pour en obtenir ce curieux instrument au timbre chaud, doux, simple et légèrement nasillard. Le corps est percé de dix trous, huit dessus et deux dessous, soit deux trous de plus que la flûte à bec baroque et quatre que la tin whistle irlandaise (à six trous). L’anche, faite en roseau, est pincée par l’instrumentiste, dont le mouvement des lèvres viennent donner des vibrations supplémentaires qui produisent des effets caractéristiques de la musique arménienne. Contrairement au hautbois, l’instrumentiste gonfle largement les joues pour souffler. Autre spécificité, la main droite n’utilise pas la pulpe des doigts pour boucher le trou, mais une partie légèrement plus basse.

La taille du duduk oscille entre moins de trente centimètres pour les petits modèles à plus de quarante pour les grands, chaque modèle ayant une fonction traditionnelle : les petits pour les danses et les grands pour les chants poétiques.

Le duduk est toujours utilisé en Arménie pour les cérémonies familiales (mariages, funérailles…). C’est un instrument d’extraction populaire, mais qui a été utilisée par plusieurs compositeurs arméniens de musique savante, tels que le Père Komitas (dont la vie et l’œuvre méritent un article à eux-seuls). On regrette simplement qu’il ait été parfois dévoyé pour jouer de la world music insipide, un peu comme la mode de la musique dite « celte », il y a quelques années…

Cela dit, que c’est beau !