Bonjour Julien, comment pourrais-tu te présenter ? Et qu’est ce qui t’as amené à t’orienter vers le secteur du marché de l’art ?
Je suis commissaire-priseur de formation, et je me suis tourné vers le conseil dans le domaine des objets d’art. J’ai baigné dans un milieu familial féru d’art, avec un père lui-même commissaire-priseur. Après les études classiques pour exercer ce métier : droit, histoire de l’art, école du Louvre, j’ai passé un concours d’entrée (examen d’aptitude) à la profession de commissaire-priseur avec un stage professionnel de deux ans puis un examen de sortie. Hé oui, ce sont de longues études !
Et pour répondre plus largement à ta question, le métier repose sur deux piliers : une solide connaissance artistique, bien entendu, mais aussi, et certains l’oublient, un grand sens du relationnel et de l’écoute. J’y reviendrai tout à l’heure.
Et tu t’es spécialisé ?
On me demande régulièrement quelle est ma spécialité. Je dirai qu’au bout de vingt ans, je me suis constitué un catalogue d’images dans la tête : je suis plus familier des tableaux et dessins anciens (XVIe-XIXe siècles). Mais en fait, ce sont les occasions qui font la spécialité. Par exemple, en travaillant sur un objet chinois, j’ai approfondi mes connaissances dans ce domaine. Cela dit, il faut savoir rester humble, personne ne pourra embrasser l’ensemble des connaissances universelles en matière artistique. L’essentiel, est, je pense, de savoir quoi et où chercher, avec la bonne documentation et la bonne personne. C’est là tout l’art du conseil-expert.
Alors justement, en quoi consiste ton métier exactement ?
Brûle-parfum Qianlong
Depuis sept ans, j’exerce le métier de conseil en tant qu’indépendant, ce qui me donne une objectivité et une liberté certaines. Mon cœur de métier est le suivant :
L’assistance aux familles et aux collectionneurs pour la conservation et donc la transmission de leur patrimoine mobilier. Je réalise en quelque sorte des « audits », en conseillant les familles dans les partages, en matière de fiscalité, etc. ; si besoin, je les dirige vers le bon artisan d’art si les œuvres nécessitent une restauration. A chaque client une situation différente : j’apporte un conseil sur-mesure. Il faut surtout être à l’écoute, faire preuve de psychologie, car dans une œuvre d’art, il y a souvent beaucoup d’affect. Les partages de biens mobiliers sont des occasions qui révèlent la vraie nature des liens familiaux. Mon objectif est donc d’apaiser ces moments de tension.
Deuxième métier, lié au premier : le conseil en vue de vente, pour valoriser d’une part le bien (optimiser sa valeur par des recherches historiques et scientifiques) et d’autre part pour trouver le meilleur acheteur, public ou privé, que cela soit par le biais d’une vente aux enchères ou de gré à gré. Par ailleurs, certains me sollicitent pour acheter des œuvres comme placement de diversification.
En bref, j’offre les services que proposent les grandes maisons du marché de l’art, à prix plus compétitifs et un service vraiment personnalisé.
Amélie Beaury-Saurel – Après déjeuner (détail)
Donc, si j’ai bien compris, par exemple tu fais surtout des inventaires après décès ?
Pas exactement, car certaines personnes font appel à moi pour préparer les partages de leur vivant, en présence de leurs enfants, et pas forcément après décès. Dans ce cas, mon métier consiste à inventorier l’entier contenu d’une maison, du tableau de maître au piano, en passant par la tondeuse à gazon !
Et qu’est-ce qui te plaît le plus dans ton métier ?
La recherche et les relations humaines. Si le notaire est une oreille pour les familles, le commissaire-priseur en est une autre.
Tu as un exemple de recherche ?
Bien sûr ! Je vais t’en donner deux. Il y a quelques années, j’ai travaillé sur un fonds de dessin, en vue de vente, de Joseph-Ferdinand Lancrenon, un élève de Girodet. C’était un travail passionnant ! Autre exemple : je suis en train de trier et classer près de 700 aquarelles de Philippe Dauchez, un peintre de marine mort il y a trente ans, en vue d’une vente qui aura lieu en octobre prochain à Drouot. J’en profite pour signaler qu’une partie des honoraires et des recettes de cette vente sera reversée à l’œuvre du Père Matthieu Dauchez à Manille.
Philippe Dauchez – L’île d’Elbe
En général, j’essaie de faire moi-même les recherches, cela dit, il faut savoir s’entourer. C’est vraiment passionnant de faire des recherches sur l’objet, son histoire, sa provenance, son caractère unique, son intégrité, le cadre dans lequel il a été conçu… Et c’est tout aussi passionnant de trouver un acheteur et de faciliter la transaction.
Quel objet t’a le plus marqué ?
Indéniablement une table à thé, portant une plaque de porcelaine de Sèvres ; cette table princière est la première d’une petite série (une douzaine) et la mieux préservée à ce jour. Ce meuble a obtenu le second prix pour un meuble français du XVIIIe siècle vendu en France. C’est un meuble merveilleux. Et pourtant, je l’ai trouvé conservé dans une simple chambre, sans que les propriétaires ne le mettent en valeur…
Certains affirment que le marché de l’art est en crise profonde. Qu’en penses-tu ?
Il serait difficile de donner une réponse complète, et donc forcément complexe, en quelques lignes. Cela dit, il faut être lucide : pour aimer les objets d’art, il est nécessaire d’avoir été formé, pas forcément de manière « académique », mais au moins d’avoir été formé au goût. C’est ce qui est en train de disparaître : on n’apprécie plus les belles choses car on recherche le fonctionnel et le pratique. On ne collectionne plus, on n’apprend plus à voir. Les gens ne sont plus sensibles à une émotion artistique, même s’ils courent visiter les expositions sans décrypter réellement les œuvres.
Julien Prouvot
Alors que l’art est fondamental pour le bonheur de la personne humaine. Avec la spiritualité, c’est ce qui fait vibrer notre vie, tout en nous replaçant dans la grande continuité de nos prédécesseurs qui ont créé ces objets, dont nous sommes les dépositaires. Les objets d’art permettent de se réapproprier notre histoire, personnelle ou collective. C’est important, nous avons besoin de racines. Mon métier sert donc aussi à redonner le sens du beau, le sens de notre patrimoine et de l’excellence française.
Camille me reçoit dans son atelier, à Paris. L’endroit est calme : de grands panneaux, des plaques de cuivre, des burins une odeur d’encre, voilà l’univers de Camille.
Un peu par hasard… Après mon bac, j’ai voulu suivre une formation d’art appliqué – à l’époque, je me destinais à l’illustration de livres pour enfants. J’ai intégré l’école Estienne – école supérieure des arts et industries graphiques de Paris (la plus réputée, note d’Artetvia) et là-bas, je me suis très vite rendu compte que tout n’était pas fait pour moi. L’école propose quatre enseignements traditionnels en lien avec le livre : reliure, illustration, gravure et typographie. Quand je suis entrée à l’atelier de gravure, ça a été une révélation : c’est ce que je voulais faire. L’odeur de vernis, l’ambiance d’atelier, le métier. Je me suis tout de suite sentie bien. Diplômée en 2009, j’ai poursuivi ma formation pendant un an chez René Tazé, imprimeur taille-doucier et maître d’art. Après, je suis partie voyager.
Voyager ?
Oui, j’ai obtenu une bourse de la Mairie de Paris pour aller au Mexique – pays reconnu pour sa gravure sur bois –, puis, grâce à la fondation Marc de Montalembert, j’ai suivi les pas de saint Paul en Terre Sainte et en Grèce. A Bethléem, je suis tombée par hasard sur un atelier d’écriture d’icônes. C’était passionnant et très complémentaire de ce que je connaissais déjà. Cela m’a permis « d’approfondir » mon art, et puis je retrouvais mes racines est-européenne (ma famille est d’origine roumaine). En 2013 j’ai commencé à travailler à l’ESAM (Ecole supérieure des arts et médias). Je gérais l’atelier de gravure de l’école. Je suis restée là-bas deux ans puis je suis retournée à Paris pour me consacrer totalement à la préparation des différentes expositions qui ont eu lieu cette année.
La gravure est un art qui semble très technique
Oui, c’est aussi bien un art qu’une technique, ou plutôt plusieurs techniques. C’est devenu davantage un art depuis que les moyens modernes permettent la reproduction des œuvres. La photographie a balayé le côté utilitaire de la gravure !
Rassure-toi, je ne vais pas te parler en détail de chaque technique mais en tracer quelques grandes lignes (c’est le cas de le dire).
La gravure en taille d’épargne (généralement sur bois) est la technique la plus ancienne : sur une planche de bois (du bois debout de préférence, taillée dans l’épaisseur du tronc et pas dans sa longueur – c’est beaucoup plus solide), je creuse des sillons avec une gouge. Au final, tout ce que je creuse restera blanc, ce qui reste sera encré. Puis, j’applique l’encre au rouleau sur le support que l’on appelle matrice ensuite j’applique au-dessus une feuille que je passe sous la presse.
C’est difficile, car tu dois voir l’image en « négatif »
En effet, c’est une vue en miroir. Pour plus de facilité, on peut utiliser un calque, ça permet de « retourner » le dessin à l’envers et de le transférer sur la plaque. Dans l’histoire de l’art la gravure est une technique qui apparait tard, mais parce qu’elle a été remplacée par d’autres techniques de reproduction elle nous paraît très ancienne. La gravure s’est beaucoup développée au moment de la diffusion de la Bible. Il fallait bien trouver une technique qui permette, autant que les lettres, de reproduire des images. L’imprimerie et la gravure sont intrinsèquement liés.
Deuxième technique : la gravure taille-douce (on grave sur un « métal doux », c’est-à-dire une feuille de métal lisse et polie). L’artiste creuse la plaque de cuivre avec un outil pour obtenir des sillons et un dessin gravé destiné à être encré et imprimé.
Un des outils qui a donné ses lettres de noblesse à la gravure est le burin, technique que j’affectionne particulièrement. Cet outil permet de graver des lignes très fines, très pures. C’est un travail assez aride. Il faut beaucoup de temps et de patience pour acquérir cette technique. En plus d’être une technique laborieuse, lorsque l’on commence, le rendu n’est jamais satisfaisant ; mais au final, cela donne les plus belles œuvres. Là, il faut que le graveur soit sûr de son geste, chaque trait compte. Une fois la plaque terminée, on peut l’encrer autant de fois que l’on désire.
L’eau forte est une autre technique, qui permet de gagner du temps. La plaque est recouverte de vernis. Avec une pointe, le graveur dessine son œuvre, puis la plaque est plongée dans un bain d’acide qui vient mordre le métal à nu. Plus le bain est long, plus la ligne est creusée, plus le résultat sera sombre (la taille sera plus large et plus profonde, elle accueillera plus d’encre). Par bains successifs, on peut obtenir tous les gris et noirs que l’on veut. Cette technique trouve son apogée au XVIIIe siècle, elle permettait de reproduire rapidement et de diffuser plus largement les œuvres peintes des grands maîtres.
Pourtant ce n’est pas de la peinture ?
Non, mais la gravure s’est toujours positionnée par rapport à la peinture. En gros, la gravure, c’est un peu une peinture que l’on peut reproduire à l’infini. Jusqu’à présent, on s’attachait aux lignes, aux traits. Avec la quatrième technique, on aborde la notion de surface. L’aquatinte permet en effet, par un processus assez complexe d’obtenir des surfaces quasi homogènes.
Et la couleur dans tout ça ?
C’est le troisième grand travail des graveurs, après le dessin et la taille : l’impression. Avant, les métiers étaient séparés : il y avait le dessinateur qui créait, le graveur et l’imprimeur. Par exemple, assez rapidement, Gustave Doré ou Hokusai ont délégué la gravure et l’impression à des assistants pour se concentrer sur le dessin. Au XXe siècle les artistes aimaient toucher à la gravure qui est devenue grâce à eux un art à part entière. Maintenant, il n’existe plus de graveurs qui reproduiraient l’œuvre d’un artiste. Chacun crée et grave son propre travail, mais l’impression est encore un métier qui à son importance, la plupart des artistes font imprimer leurs gravures dans les quelques ateliers qui tournent encore en France et à Paris en particulier.
Pour la couleur, il y a plusieurs méthodes. Soit, on place toutes les couleurs directement sur la plaque. Il faut avouer que c’est une horreur, car c’est très difficile de ré-encrer de la même manière. Certains vont mettre jusqu’à dix couleurs sur la même plaque… La technique la plus utilisée est l’impression de plusieurs plaques (une couleur par plaque) imprimées en superposition sur le même papier.
Tu utilises un papier spécial ?
Un papier traditionnel en chiffon et non pas du papier couché. En effet, il faut pouvoir l’humidifier pour qu’il devienne souple… sans qu’il se déchire comme le papier que nous utilisons au quotidien.
Et si tu te trompes ?
La gravure est un métier où il faut savoir accepter ses erreurs. De toute manière, on ne maîtrisera jamais tout. Avec l’expérience et la connaissance précise de ses outils, le risque d’erreur diminue. Il faut savoir changer son œuvre en fonction de l’évolution du travail : pour un paysage, ce n’est pas trop compliqué, pour un visage beaucoup plus.
Pour finir, tu as des projets ?
J’aimerais déjà avoir mon atelier avec ma propre presse pour pouvoir imprimer mes œuvres facilement. Je vais poursuivre mon travail de recherche : c’est parfois difficile car il y a toujours la peur de l’imposture – suis-je une bonne artiste ? Il faut que je continue à travailler. L’excellence est une nécessité !
Bonjour Christophe, nous nous connaissons par ton métier d’organiste, mais je sais que tu exerces aussi une activité de chercheur. D’où vient cette « double casquette » assez originale ?
J’ai commencé par le piano classique, vers l’âge de 6 ans, grâce à l’instrument qui était chez ma grand-mère, puis à l’école de musique. A l’adolescence, j’ai poursuivi ma pratique du clavier, mais cette fois avec l’orgue électronique et le piano électrique, dans différents groupes de rock. C’était l’époque… J’ai aussi pratiqué le jazz, avec Bobby Few. Vers 16 ans, au conservatoire de Pantin, j’ai étudié le clavecin et l’accompagnement avec Richard Siegel, puis avec Antoine Geoffroy-Dechaume, l’un des grands « baroqueux » de l’époque. Dans le même temps, je suivais la classe d’orgue de Suzanne Chaisemartin, élève de Marcel Dupré. Là, on est loin du baroque. Comme tu le vois, dès cette époque, j’aimais faire le grand écart. J’ai continué avec Denys Mathieu-Chiquet et parallèlement, j’ai reçu des cours d’écriture, d’harmonie et de contrepoint, de manière assez classique, et de composition avec Luc Ferrari.
Sauf que par ailleurs, j’ai poursuivi mes études scientifiques : après une maîtrise de mathématiques pures, j’ai obtenu un doctorat… d’informatique sur l’analyse et la synthèse de la parole, sous la direction de Xavier Rodet, qui était chercheur à l’IRCAM. J’ai rejoint ensuite le CNRS, et je poursuis toujours une carrière de chercheur, sur l’analyse, la perception et la synthèse de la parole et de la voix, l’organologie et la lutherie électronique.
Et quand es-tu arrivé à Sainte-Elisabeth-de-Hongrie (IIIe arrondissement) comme organiste ?
J’ai commencé à remplacer le titulaire, Denys Mathieu-Chiquet, fin 1987. Lorsqu’il a été nommé à Saint-Paul-Saint-Louis en 1989, le poste m’a été proposé. J’y suis donc depuis près de 30 ans. J’ai eu l’occasion de contribuer à la restauration de l’orgue entre 1992 et 1999, en effectuant des recherches sur le facteur de cet instrument, Antoine-Louis Suret, et plus généralement sur l’organologie et les facteurs d’orgues parisiens du XIXe siècle.
Dont le célèbre Aristide Cavaillé-Coll ?
Un concurrent implacable de Suret. Et sa réputation d’excellence n’est pas usurpée : fils et petit-fils de facteur, il a dominé la facture d’orgue en France au XIXe siècle, en innovant toute sa vie et en produisant, avec son entreprise florissante, plus de 600 instruments d’une qualité remarquable. Suret, quant à lui, d’origine plus modeste, est resté à un stade plus artisanal. Il a tout de même travaillé sur une soixantaine d’instruments, dont le plus important est celui de Sainte-Elisabeth, dont on peut apprécier la belle qualité.
Qu’est-ce qui te plaît dans l’orgue ?
D’abord, l’instrument : sa richesse sonore, son immense répertoire ; et puis c’est l’instrument polyphonique par excellence. Deuxième grande raison : sa fonction liturgique. L’organiste d’église produit une musique « fonctionnelle ». L’organiste accompagne les chants (d’un soliste, d’un chœur, de l’assemblée), il joue en soliste, il improvise. Sa fonction est d’accompagner la prière des fidèles ; il est l’une des composantes d’un mouvement général où tous les membres de l’assemblée sont, en quelque sorte, « acteurs» de l’œuvre commune (le sens originel de « liturgie »). On est dans une situation très différente du récital ou du concert où l’artiste se montre, et montre son art, en face d’un public passif. La situation du concert est bien sûr très belle, mais ce n’est pas la seule façon de communiquer et de s’élever grâce à la musique. En situation liturgique, l’organiste doit accepter un rôle plus humble, avec les autres acteurs de la liturgie. Pendant certains temps de l’année, l’orgue intervient de façon plus discrète, à d’autres moments de façon éclatante. C’est l’ambiance dictée par le temps et les textes qui détermine le choix musical, et pas uniquement la décision du musicien. L’orgue rassemble en une unité la diversité des voix, et tous les organistes, je pense, pourraient parler de l’émotion musicale intense ressentie pas tous, lorsque le plein jeu accompagne une foule qui chante à pleine voix.
Il faut avouer que les occasions de chant collectif, fonctionnel, se réduisent. Il reste les églises, les stades (mais musicalement nettement moins élaboré). Avant, on chantait pour marcher, pour travailler la terre, pour souquer sur les avirons, en buvant avec ses amis… Moins maintenant. C’est dommage car le chant est consubstantiel à la nature humaine et met en contact avec le « réel ». C’est un facteur de lien social puissant. La musique enregistrée par exemple peut isoler autant qu’elle rapproche.
Tu souhaites développer ta carrière de musicien soliste ?
Non, pas plus que ça. Je ne donne que quelques concerts chaque année, souvent autour de projets de création (dispositifs électroniques, improvisation, instruments nouveaux). Mais on ne peut pas tout faire, et en tant qu’interprète, je n’ai pas de « spécialité », comme beaucoup d’organistes, le répertoire s’étend de la musique médiévale ou à la musique contemporaine.
Passons à ton deuxième travail : la recherche. Peux-tu nous en dire plus ?
La motivation de mes recherches reste musicale pour l’essentiel. Je travaille surtout sur la synthèse de la voix et de la parole. C’est passionnant. En bref, et sans rentrer dans des détails techniques un peu complexes, je travaille sur la nature de la voix humaine, sur sa modélisation et sa synthèse électronique. Mon équipe a développé au fil des années plusieurs générations de synthétiseurs vocaux, dont récemment un nouvel instrument de musique, le Cantor Digitalis, un synthétiseur de voix chantée contrôlée par les gestes manuels, qui fonctionne sur une tablette numérique. Pour cet instrument, nous avons eu le plaisir de recevoir le premier prix de la Guthman Musical Instrument Competition, une compétition internationale à Atlanta en 2015.
La voix humaine est-elle donc si particulière ?
Oh oui ! Le timbre est très variable, le son est complexe : nous chantons des voyelles et des consonnes, la source vocale est difficile à contrôler, sans compter l’expression acoustique des sentiments… Beaucoup plus complexe que le son d’un instrument de musique !
Sinon, tu as fait des recherches sur l’orgue ?
Oui, pour la création musicale, je travaille sur l’augmentation numérique de l’orgue. C’est-à-dire que je cherche à transformer numériquement en temps réel une musique produite par un orgue « mécanique ». J’ai pu ainsi enregistrer un disque Les douze degrés du silence, aux éditions Hortus (qui a obtenu « 5 diapasons ») avec cette nouvelle approche de l’orgue… Cependant, actuellement, je n’utilise pas l’augmentation numérique en liturgie – le dispositif est assez complexe, et le langage musical ne pourrait s’appliquer qu’à des moments assez réduits. J’ai aussi travaillé sur le clavicorde.
Le clavicorde ?
Oui, historiquement, c’est le deuxième instrument à clavier après l’orgue (qui, lui, date de l’Antiquité), avant le clavecin et bien avant le piano. C’est à l’origine un instrument issu du monocorde, un pur instrument de scientifiques, un instrument de musique au sens du « quadrivium » médiéval, c’est-à-dire la science des proportions (notre arithmétique actuelle). C’est un instrument très ancien, mais très moderne par la qualité du contrôle (on dirait aujourd’hui de « l’interface humain-machine ») qu’il autorise. Un autre point de rencontre entre préoccupations musicales et recherche.
Des projets ?
Je continue à développer les instruments chanteurs et à travailler sur la voix chantée, en particulier dans ses rapports avec l’expression des émotions et attitudes humaines. C’est un champ de recherche à défricher. Un aspect passionnant est la composition pour ce chœur virtuel, à la recherche de nouvelles sonorités vocale et instrumentales.
Par ailleurs, mon travail sur l’augmentation numérique de l’orgue se poursuit, avec un projet en cours dans une grande salle de concert, l’ajout d’un quatrième clavier de «lutherie électronique » (grand orgue du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles).
Enfin, j’ai encore de nombreux projets de recherche, sur le jeu du clavicorde notamment.
Heureusement !
Merci beaucoup Christophe
Pour écouter Christophe à l’œuvre
Pour en savoir plus sur ses recherches, sur le site de l’université Paris Saclay
Sur le projet Orgue et Réalité Augmentée, c’est ici.
Bonjour Marthe, peux-tu te présenter aux lecteurs d’Artetvia ? Comment devient-on chanteuse lyrique ?
J’ai commencé le chant très jeune : à l’âge de 8 ans, je suis entrée à la Maîtrise de Bretagne. J’y ai appris, entre autres, à lire rapidement de la musique et à me confronter au public. Nous étions en représentation tous les quinze jours. Donc, assez naturellement, j’ai été confrontée à la gestion du stress – quand on est jeune, on se rend moins compte, c’est plus simple et plus tard on essaie de se souvenir de cette spontanéité d’antan ! Et j’avoue que cette expérience m’est encore utile.
A l’adolescence, au Conservatoire de Rennes, j’ai commencé à apprendre le clavecin, l’harmonie et aussi quelques cours sur l’histoire de la musique. Je jouais surtout de la musique baroque et chantais beaucoup ce répertoire, que j’élargis notamment en ce moment au CNSM.
Après un passage d’un an dans le chœur de l’opéra de Rennes et dans un ensemble vocal professionnel (Mélismes), j’ai intégré la Maîtrise de Notre-Dame de Paris.
Peux-tu nous en dire deux mots, car on l’a tous entendue… sans vraiment la connaître ?
En fait, c’est loin d’être une « simple » chorale de cathédrale. C’est un engagement à plein temps. Il y a une solide formation : cours de chant, d’harmonie, de direction de chœur, de chef de chant, d’allemand et d’italien ! Et puis, les offices à chanter, et bien sûr les concerts de la saison. Honnêtement, c’est une excellente école. D’ailleurs, aujourd’hui, beaucoup d’admis au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (CNSM – l’Ecole Normale Supérieure ou l’école Polytechnique de la musique, le top quoi ! – Note d’Artetvia) viennent de la Maîtrise de Notre-Dame. Par exemple, en ce moment, nous sommes à peu près une dizaine de chanteurs à venir de là.
Tu es maintenant au CNSM ?
Oui, j’ai réussi le concours. Je finis ma quatrième année. C’est une école passionnante où l’on se perfectionne sous la coupe de musiciens de très grands talents. Mais j’ai déjà des activités professionnelles.
Lesquelles ?
Je chante régulièrement en tant que soliste pour des oratorios ou des récitals. Je chante aussi régulièrement à Notre-Dame de Paris pour la grand’messe de certains dimanches (matin et soir) en quatuor. Nous avons le choix du programme, c’est très agréable et stimulant artistiquement. Par ailleurs, je suis intéressée aussi par la pédagogie et je donne quelques cours de chants, je participe à des stages pour sensibiliser le personnel médical – notamment en service psychiatrique – à la musique et au chant. J’apprécie de pouvoir transmettre ma passion du chant à tous ceux qui ne connaissent pas la musique dite « classique », et ils sont nombreux. Pour moi, c’est un facteur d’enrichissement personnel et de cohésion culturelle et sociale. Et j’ai aussi un ensemble, Lux Aeterna…
Justement, parlons-en, c’est un projet que de nombreux lecteurs ne connaissent certainement pas.
L’idée est simple : replacer la musique sacrée dans son contexte liturgique pour laquelle elle a été composée. En bref, nous chantons des pièces connues ou moins connues au cours de messes, vêpres, etc… L’ensemble des artistes sont professionnels. C’est un projet auquel je tiens car il réunit des artistes (chrétiens ou non) intéressés par une approche de la musique sacrée que j’ose qualifier de plus authentique dans la mesure où les œuvres ne sont pas données en concert mais dans leur cadre initial qui est celui de la liturgie. D’autre part, cela permet aux paroisses de faire l’expérience de cette musique, tout en ne tombant pas dans le travers d’une messe-concert. L’Eglise a été source de création et de diffusion artistique pendant des siècles et cela permettait aux gens de toutes classes sociales confondues d’entendre cette musique lors du culte et donc bien sûr gratuitement, quoi de plus gratuit en acte que la liturgie ? Et c’est une musique qui, en elle-même, porte à la prière : elle a été écrite pour cela.
Tu as des compositeurs préférés ?
C’est difficile à dire. En général quand je rentre dans le travail d’une œuvre j’en viens assez rapidement à l’apprécier. Bon, mais bien sûr, il y a Bach… Sinon, j’aime beaucoup les compositeurs français du début du XXe siècle : Poulenc, Debussy, Ravel, Hahn, Duruflé, Messager… Mais tant d’autres aussi, et le monde de l’opéra me passionne bien sûr !
Pour toi, qu’est-ce que chanter ? C’est une question redoutable et sans fin, mais bon…
Oui c’est une question qu’on met sans doute une vie à résoudre ! Mais je dirais que pour moi, le travail du chant, c’est une recherche d’unité de l’être. On allie matière et émotion, souffle et résonnance, voix et expression. Hildegarde de Bingen disait que « le corps est l’atelier de l’âme où l’esprit vient faire ses gammes », elle disait aussi que « le corps est le vêtement de l’âme et la voix de l’âme est vie ; aussi il faut que le corps chante les louanges de Dieu avec l’âme grâce à la voix ». L’âme ne va pas sans le corps et l’esprit et vice versa. Et pour moi le chant est l’une des activités humaines qui requiert impérativement cette unité de l’âme, du corps et de l’esprit. Tout l’être entre en vibration et c’est un travail long et patient d’apprendre à puiser dans les ressources du corps, chaque jour plus profondément, pour que la voix puisse se déployer. L’une a besoin de l’autre… Et, tout ce travail technique est un moyen pour que l’âme puisse colorer le chant de mille et une nuances musicales et expressives. Si, aujourd’hui, on arrive à décrire le phénomène « anatomique » du chant, personne ne peut épuiser le concept de la voix humaine et des émotions qu’elle est capable de transmettre.
Il n’y a pas un danger de « perdre les pédales » ?
Si, bien sûr, comme au théâtre. Il faut rester présent au réel de la vie de tous les jours. Les artistes sont souvent des personnes très sensibles qui trouvent dans l’expression de leur art un moyen de dire l’indicible ou qui, par le biais de personnages fictifs, peuvent exploiter des émotions et états amoindris dans la vie quotidienne. La scène permet d’explorer l’être humain sous toutes ses coutures, de ses aspects les plus rebutants et méprisables jusqu’aux sommets de l’héroïsme ou de la grandeur d’âme… Sur scène, on prête notre corps et notre âme à d’autres et on se met à nu pour cela. C’est pour cela que je crois qu’il faut savoir garder une distance et garder à l’esprit le cadre professionnel de ce que l’on fait. Mais pour les chanteurs il y a le chant qui met déjà une distance entre la scène et la vie réelle, nos personnages ne savent pas qu’ils chantent mais nous, nous le savons et heureusement pour nos concitoyens !
Des projets ?
Je n’ai pas de « plan de carrière » tout tracé, je prendrai ce que les opportunités proposeront si elles correspondent à ce que je souhaite exprimer avec ma voix ! Mais je n’attends pas que cela tombe du ciel et j’auditionne à droite, à gauche pour me faire entendre. J’ai aussi des idées plus personnelles comme celle de créer un duo humoristique, mêlant chant et théâtre. Et bien sûr, j’aimerais continuer à faire découvrir le chant à ceux qui ne le connaissent pas. Dans tous les cas, cela doit rester pour moi une joie de chanter.
Vous pourrez écouter (et admirer) les voix de Marthe Davost et de l’ensemble Lux Aeterna au cours des vêpres de l’Ascension, jeudi 5 mai 2016 en l’église Sainte-Elisabeth-de-Hongrie (IIIe arrondissement) à 18h. Venez nombreux !
Il y a quelques mois, Artetvia vous proposait en entretien avec Marc Ganuchaud, architecte du patrimoine, qui nous a présenté de manière vivante et vraie son métier, notamment au service de la ville de Saumur, qui compte près de 50 monuments historiques. Aujourd’hui, nous rencontrons Joachim Ganuchaud, son fils, architecte lui aussi, qui évoquera d’autres aspects, non moins intéressants, du métier.
Bonjour Joachim, comment ta vocation d’architecte t’est-elle venue ? J’imagine que ta famille n’y est pas étrangère…
Il faut l’avouer, j’ai indéniablement été influencé par mon père et mon grand-père. Cela dit, le choix de la carrière d’architecte n’est pas venu d’eux, mais de moi ! Il est vrai que très tôt, j’ai été confronté à la « réalité » de l’architecture. Pour moi, ce n’était pas un mot abstrait vide de sens : c’était d’abord la table à dessins, les innombrables stylos, les maquettes, les photos qui encombraient le bureau de mon père. Ensuite, ce sont les chantiers, que je partais visiter avec lui ; cela me plaisait beaucoup. Et puis, j’ai vu de mes yeux la construction d’une maison : celle de notre famille. A partir d’une ruine très ancienne, nous avons reconstruit une belle bâtisse, bien agencée, pratique et très belle à la fois. Cela m’a beaucoup marqué ! Pour moi, observer qu’à partir d’une idée et différents matériaux (sable, bois métal, pierre) que l’on assemble, on peut réaliser une construction habitable, a toujours été fascinant. L’architecture c’est cela : on imagine un concept, on le mûrit doucement, on le dessine (deux dimensions), on construit une maquette (trois dimensions) et enfin on construit le bâtiment. Outre l’aspect programmatique, c’est avant tout une question de forme et de structure, le reste (matériaux, couleurs, textures, etc.) viendra ensuite.
Ce n’est pas tout de vouloir faire ce métier, encore faut-il le pouvoir !
J’ai commencé très jeune, en construisant des Lego et des cabanes dans les arbres ! Plus sérieusement, j’ai passé l’option arts plastiques au bac avec une thématique sur le patrimoine en péril. Ensuite, je suis entré à l’école d’architecture de Nantes. En 5ème année (sur les 6 ans d’études), je suis parti à Hambourg, en Allemagne.
Avant le passage de l’architecte… (cliquez sur les photos, cela rend mieux)
...après
Pourquoi Hambourg ?
L’école de Nantes est réputée, mais reste très conceptuelle. A l’occasion d’un échange entre mon école et celle d’Hambourg, organisé en 4ème année, j’ai pu découvrir une autre facette et une autre approche de la formation au métier d’architecte. Et j’ai trouvé cela génial. J’ai donc décidé de passer une année complète en Allemagne et d’y faire mon stage de fin d’étude. Là-bas, un peu comme à Nantes, mais en beaucoup plus grand, nous avions un terrain d’expérimentation « grandeur nature », avec la réhabilitation des friches portuaires. J’ai beaucoup appris, notamment l’importance des détails et l’urbanisme. Cela m’a bien servi par la suite. En effet, c’est bien d’avoir un excellent concept, mais le diable et la qualité d’un dossier se niche dans les détails ! Nous vendons de la réalité, pas un simple plan.
Diplômé en 2003, j’ai rejoint l’agence de Pascal Prunet, architecte en chef des Monuments Historiques.
Un nouveau domaine…
Oui et non. Par exemple, à Nantes, j’avais suivi un séminaire organisé sur ce thème : nous étions très peu nombreux. Rétrospectivement, je me rends compte que c’est assez affolant : dans le cursus commun, il y avait très peu d’histoire de l’architecture. Cela paraît impensable et pourtant, c’est vrai : on inculque aux élèves un amas considérables de notions, sans savoir d’où elles viennent. Sans racines, on risque de faire n’importe quoi !
Pour parfaire ma formation, en plus de mon travail à l’agence Prunet, j’ai suivi l’école de Chaillot qui m’a donné le titre d’architecte du patrimoine.
Cela m’a permis de me confronter au terrain en connaissance de cause, les cours de l’école de Chaillot étant la « théorie », le travail à l’agence, la « pratique ». Le travail était passionnant : établissements de relevés – c’est-à-dire, l’ensemble des mesures d’un bâtiment – et d’état sanitaire (noter tout ce qui est dégradé), études historiques, structuration de Projets Architecturaux Techniques pour validation par un inspecteur de la commission des Monuments Historiques….
J’ai eu la chance d’intervenir sur des projets très intéressants : les remparts de Guérande, le château d’Apremont, la flèche de l’église Saint-Nicolas de Nantes, reconstruite par mon grand-père dans les années 1950, le château de Tiffauges…
Et maintenant ?
Depuis quelques années, je travaille quasi uniquement pour la réhabilitation d’immeubles parisiens. Cela permet d’allier les aspects patrimoniaux et la créativité de l’architecture actuelle. De nouveaux aspects sont apparus, moins prégnants dans les dossiers de Monuments Historiques : les délais, la gestion des entreprises du bâtiment, les permis de construire, la réglementation, le travail avec d’autres corps de métier comme les paysagistes…
Actuellement, je commence un chantier de réhabilitation lourde de plus de 20 000 m2, avec un bâti très hétérogène (des bâtiments du XIXe siècle, d’autres des années 1950) : le défi est de trouver de l’homogénéité là-dedans pour obtenir un ensemble architectural cohérent. C’est passionnant !
Avant
Après
Parlons un peu de la règlementation, est-ce contraignant ?
Oui, il faut le reconnaître. Et de plus en plus. Les normes handicapés, les normes de sécurité, les normes de développement durable… C’est une réelle contrainte, mais il faut être malin et ne pas se laisser accaparer. Au final, je me rends compte que cela ne bride pas trop l’imagination et la créativité, peut-être que cela me pousse à être encore plus créatif ! Et je citerai là le grand architecte André Bruyère qui disait que « l’Architecture, c’est mouler une tendresse sur une contrainte »
Plus de dix ans après tes débuts, quel regard portes-tu sur le métier ?
Cela me fascine toujours, heureusement. C’est un métier très complet : c’est à la fois conceptuel, créatif et aussi très concret. L’esthétique, quoiqu’on en dise est toujours essentielle dans un projet architectural. Après, au contact de mes prédécesseurs, j’ai appris la rigueur de la réflexion… et de la pratique. C’est bien d’avoir de belles idées, mais il faut être précis et rigoureux, sinon, c’est fumeux. Après, l’architecte ne peut pas tout : si le maître d’ouvrage tire vers le bas, avec toute la bonne volonté du monde, il sera difficile à l’architecte de créer un bâtiment de qualité.
L’éternelle question est vraiment : que va-t-on laisser aux générations suivantes ? L’architecture a ceci de particulier qu’elle est un art dont les œuvres durent, très longtemps parfois, donc autant ne pas se tromper et bien faire !
Bonjour Corinne, comment nommerais-tu ton métier ?
Si je dis que je suis simplement chanteuse, certains vont croire que je chante de la variété ou de la pop. Aussi bien, je préfère dire chanteuse lyrique, comme ça, il n’y a pas d’ambiguïté. Quant au terme « cantatrice », il est réservé aux chanteuses qui ne se produisent qu’à l’opéra. Et encore, le mot est un peu désuet et connoté « Castafiore ».
Et comment devient-on chanteuse lyrique ?
J’ai un parcours à la fois classique et un peu original. A huit ans, en écoutant Maria Callas, je me suis dit « Je veux chanter comme elle » : c’est un peu un rêve de petite fille… J’ai commencé par jouer du hautbois, jusqu’à mon diplôme. En fait, je n’aimais pas plus que ça et je ne me considère pas comme très douée dans cet instrument. Je croyais à l’époque que cela pouvait m’aider à avoir du souffle pour chanter – en fait, ce n’est pas bon du tout, car en hautbois, on donne beaucoup de puissance d’un coup en pinçant les lèvres, tout le contraire de la voix.
Après la mue, j’ai intégré le Conservatoire de la Roche-sur-Yon, qui m’a donné une formation musicale et une technique vocale solides. J’ai poursuivi mes études au Conservatoire de Bordeaux puis à celui de Toulouse où j’ai eu mon prix.
Mais paradoxalement peut-être, le Conservatoire ne suffit pas : un cours de chant par semaine, c’est trop peu. J’ai donc suivi d’autres formations, notamment en chant lyrique et en musique ancienne. Parallèlement, je me suis formée au jeu théâtral et à la mise en scène. Ce n’est qu’en 2007 que je me suis vraiment dit : ça y est, je suis chanteuse et c’est mon métier.
Et tu as commencé à travailler dans le milieu du baroque ?
Tout à fait. J’ai une voix aigüe et peu de vibrato, ce qui va bien avec la musique baroque. En plus, le baroque est à la mode, avec de nombreux ensembles. Ma voix n’était d’ailleurs pas encore mûre pour chanter à l’opéra : certaines chanteuses le peuvent dès 23 ou 24 ans. Ce n’était pas mon cas. J’ai donc chanté pour plusieurs chœurs, notamment le Poème Harmonique (Vincent Dumestre) ou les Eléments (Joël Suhubiette). Le rythme de travail est très particulier, on n’est jamais chez soi car on se déplace beaucoup, en France et à l’étranger. Et les voyages sont éprouvants pour la voix, il faut avoir une technique irréprochable pour les « encaisser ». En 2009, j’ai un peu freiné le rythme. Et puis le chant choral me plait, mais je voulais chanter en soliste. Le passage n’est pas évident : dans un chœur, on peut toujours se noyer dans la masse, alors qu’un soliste est très exposé. Il fallait donc que je poursuive ma formation et que je développe mon réseau. Depuis, et bien, je chante à l’opéra ou en soliste pour des ensembles vocaux.
Tu as chanté à l’opéra ?
Oui, j’ai notamment pu chanter le rôle de Susanna dans les Noces de Figaro, de Lakmé dans… Lakmé, de Frasquita dans Carmen ou de Vénus et Cupidon dans King Arthur. Il faut avouer que j’éprouve un grand plaisir à chanter sur scène.
– Extrait du répertoire français XIXe siècle, « Oui pour ce soir…Je suis Titania la blonde » de Mignon d’Ambroise Thomas, filmé à la halle aux grains de Toulouse
Justement, pourquoi aimes-tu chanter ?
Ouh, là, là, c’est une question difficile. Déjà, il ne faut pas s’écouter : soit j’écoute, soit je chante, je ne peux pas faire les deux. A mon sens, il y a deux aspects fondamentaux dans le chant : d’une part, le cérébral, l’intellect – connaître son texte, le mettre en scène, savoir l’interpréter, etc. mais cela ne suffit pas. Il faut surtout des sensations et du plaisir. Si tu n’as pas de plaisir, autant changer de métier. Surtout à l’opéra où l’implication personnelle est énorme : l’espace est plus grand et il y a un orchestre. Il faut aller chercher des ressources beaucoup plus profondes, je dirai même aller chercher « l’animal » qui est en nous. C’est éprouvant ! Et le soliste se met en danger car il se met à nu. En revanche, contrairement aux comédiens qui ont toujours le risque de franchir les limites de l’appropriation du personnage, les chanteurs ont une barrière : la voix. Et pour bien chanter, il faut parfaitement maîtriser son corps, ce qui est tout le contraire de la folie. Et puis, il faut avouer, honnêtement les livrets d’opéra ne sont pas des sommets de littérature et la distanciation avec le personnage que l’on incarne est assez aisée.
Et pour chanter à l’opéra, que faut-il de particulier ? Etre un bon acteur ?
C’est important en effet, mais ce n’est pas l’essentiel. Les chanteurs d’opéra sont des chanteurs qui jouent, pas des acteurs qui chantent. Pour chanter à l’opéra, il faut avoir de la puissance et des aigus solides. Après, il y a forcément des limites : pour caricaturer, au XIXe siècle, le chanteur est roi sur scène, au XXe siècle, c’est le chef d’orchestre, au XXIe siècle, c’est plutôt le metteur en scène. Et là, c’est parfois plus compliqué car on ne peut pas tout faire, chanter et sauter par exemple ou chanter en courant, ça va un peu, mais pas trop longtemps non plus…
Sur l’aigu, cela peut surprendre, mais un aigu final peut déchaîner les passions, même à l’opéra où le spectateur est loin de la scène, on ressent très bien ce que ressent le public.
Et la passion doit-elle être toujours présente ?
Oui et non. Il est évident, que de temps en temps, on a la flemme d’aller travailler, comme dans tous métier. Après, si c’est trop fréquent, on doit se remettre en question. Plusieurs fois, j’ai eu envie d’arrêter car c’est un travail exigeant. En fait, le ressort est en toi, même si les autres peuvent aider à améliorer ta technique. L’objectif est de surmonter les blocages. De temps en temps, il faut savoir arrêter de se poser des questions : le geste vocal n’est pas intelligent, c’est de l’instinct animal. Après, évidemment, la raison canalise tout cela.
C’est un métier vraiment exigeant ?
Oui, je le pense. Passionnant aussi évidemment. Je travaille beaucoup. Et puis, je continue à me former, encore et toujours. Avec l’âge, il faut savoir guetter les signaux de faiblesses, après une maternité aussi (Corinne est maman d’une adorable petite Jeanne). Une chanteuse peut chanter jusqu’à 55 ans environ. Après, c’est très exceptionnel, comme Edita Gruberová qui chante encore très bien à 68 ans. En gros, entre 20 ans et 35 ans, tu travailles pour acquérir ta maturité, après, tu travailles pour ta longévité. Aujourd’hui, je peux dire que j’ai acquis une certaine maturité : je connais mes limites, je fais attention et en même temps, j’ai confiance en ma voix et n’ai pas de problème d’endurance. Il faut savoir aussi accepter ses échecs : les auditions sont très éprouvantes, il faut séduire en trois minutes. Comme tous les chanteurs, même les meilleurs, j’ai échoué à de nombreuses auditions. Il ne faut pas baisser les bras. Il y a des moments où tout va bien et d’autres où rien ne marche…
– Les débuts de chanteuse…
Question bête, tu as un compositeur préféré ?
Non, beaucoup. Je suis très fan de l’opéra français du XIXe siècle, hélas peu joué, avec des compositeurs comme Léo Delibes ou Ambroise Thomas. J’ai aussi chanté Offenbach, qui n’est pas du tout facile contrairement à ce que l’on croit. En revanche, j’ai beaucoup de mal avec Rameau et Lully.
Et puis, outre les italiens (Verdi, Donizetti, Bellini, Rossini…) qui sont très agréables à chanter, j’aime beaucoup Mozart, mais que c’est difficile ! Il a une écriture instrumentale, avec peu de respirations, des vocalises à gogo, des sur-aigus et en plus du lyrisme. Pas évident du tout ! Un peu comme Bach, cela ne supporte pas la médiocrité. Quant à Wagner, il a une place à part : il faut une voix très puissante et une endurance à tout épreuve. C’est vraiment écrit pour des chanteurs particuliers, ce qui n’est pas mon cas. En revanche, je peux chanter du Debussy, du Poulenc ou du Ravel, c’est très intéressant.
Des projets ?
Oui, des rêves d’abord : pas forcément celui de chanter sur telle ou telle scène, mais plutôt d’obtenir des rôles tels que Lucia dans Lucia de Lammermoor ou Gilda dans Rigoletto. Après, à court terme, parmi d’autres projets, je vais chanter Blanche dans le Dialogue des Carmélites. J’en suis ravie !
Léonore me reçoit au milieu de quantité de livres d’histoire, d’histoire de l’art et d’architecture. Quelques pierres trônent sur les bibliothèques. Tout est calme. Léonore me parle avec passion et enthousiasme de son métier. Vu l’ampleur de l’interview, cette livraison d’Artetvia « compte double ». Rendez-vous dans deux semaines donc.
Bonjour Léonore, question rituelle, comment devient-on historienne de l’architecture ?
On pourrait dire que je n’ai pas voulu faire ce métier par vocation inscrite dans mes gènes depuis mon enfance, ni par héritage familial : lorsque j’étais petite, je voulais exercer un métier identifiable aisément, comme « boulanger » ou « pompier». Et je suis devenue historienne de l’architecture : c’est raté pour la simplicité !
Après une licence d’histoire de l’art à la Sorbonne, j’ai passé un an à Rome, dans le cadre de l’association Rencontres Romaines, qui propose aux visiteurs francophones des visites guidées s’attachant à transmettre le « sens » de la ville, un sens historique et religieux. Et je pense sincèrement que si on ne connaît pas entre autres l’histoire du christianisme, on a beaucoup de mal à bien comprendre Rome. J’intervenais pour des groupes scolaires et des individuels. Je pense que c’est là que j’ai découvert ma passion pour la pierre et pour sa transmission.
De retour à Paris, j’ai poursuivi mes études en histoire de l’art. Mon directeur de thèse, un historien de l’art bien connu, spécialisé dans l’architecture française du XVIIe siècle m’a orienté vers l’histoire de l’architecture. A l’heure actuelle, d’un point de vue « universitaire », cela fait cinq ans que je travaille sur ma thèse de doctorat qui a pour titre : Les chantiers de construction des églises paroissiales parisiennes aux XVIIe et XVIIIe siècles. C’est un travail de longue haleine que j’espère achever en septembre 2016.
Par ailleurs, j’ai deux activités professionnelles principales : j’assure des visites guidées et j’effectue des études historiques.
Parlons d’abord des visites guidées. Tu en fais toujours ?
Oui bien entendu ! En fait, ayant un certain bagage universitaire, je pouvais choisir « simplement » de donner des cours, ce que je fais de temps en temps d’ailleurs, mais ce n’est pas ce que je recherche. La théorie pour elle-même ne m’intéresse pas plus que cela et je ne suis pas très scolaire (bon, Léonore a un niveau Bac + 18 ou + 32, on ne sait plus, mais bon… Note d’Artetvia). Je tâche de faire de l’histoire de l’architecture appliquée et de transmettre. A l’oral et à l’écrit.
A l’oral, ce sont les visites guidées au grand public que j’assure depuis bientôt dix ans. C’est un métier contraignant – il y a un gros travail en amont et un sacré effort de concentration – et fatiguant (deux visites guidées par jour pendant une semaine dans une Rome surchauffée, c’est éreintant, je peux vous l’assurer), mais c’est passionnant. J’aime le contact avec les visiteurs, observer leur réactions. On voit très vite si les gens sont intéressés ou non, et s’ils comprennent ou non. Je tâche de transmettre les clés de compréhension du monument visité.
Et les études historiques ?
C’est la plus grande partie de mon métier. La transmission « par écrit ». Je propose des études historiques aux architectes (architectes des Monuments Historiques et aux Architectes des Bâtiments de France) et aux propriétaires de monuments anciens, du château à l’appartement parisien. Après deux ans en tant que salariée dans un cabinet spécialisé, je me suis mise à mon compte.
Peux-tu nous en dire plus ? J’avoue que c’est un peu vague pour moi.
Je cherche à retrouver la mémoire du bâtiment à partir de plusieurs sources. Les propriétaires, s’ils possèdent leur propres documents, mais aussi les archives nationales, départementales, municipales. Je passe beaucoup beaucoup de temps en bibliothèque, au milieu des vieux papiers, des plans, des cartes postales, des photos anciennes. Sans oublier bien entendu l’observation du bâtiment lui-même.
C’est important ?
Non, simplement indispensable. Il faut apprendre à vouloir et savoir voir, comme me disait l’un de mes professeurs. Hé oui, on apprend à voir. Et cela ne s’apprend pas dans les livres ou sur les bancs de la Sorbonne. C’est uniquement par la confrontation avec la réalité. L’observation prime sur toute autre recherche : la forme du bâtiment, le style, les matériaux de construction, les travaux, les éléments en bon ou mauvais état, les dépendances, le jardin, le mobilier. Cela forme un tout qui permet de comprendre le monument. C’est aussi le seul moyen de connaître un bâtiment quand les archives ont disparu. Un détail sur le mobilier : en France, le mobilier d’origine est très rare, contrairement à des pays comme la Suède par exemple : les guerres de religion et les révolutions (1789 et aussi à Paris beaucoup moins connues, 1830, 1848 et 1870), même si on peut avoir des surprises. Saviez-vous par exemple qu’aucune église parisienne n’a été détruite pendant la révolution de 1789 ? Bon évidemment le mobilier a été saccagé de fond en comble, mais pas les bâtiments…
Je réalise ce que l’on appelle une monographie du bâtiment : le parcellaire, l’histoire de la construction, les dates, le nom de l’architecte, les matériaux, les rajouts et les modifications ultérieures, les commanditaires… et la vie de ces personnes, l’arrière-plan psycho-sociologique. Par exemple : un marquis ne construit pas de la même manière qu’un chanoine, une église conventuelle n’est pas une église collégiale.
Et au final à quoi ça sert ?
A beaucoup de choses ! Très variées. Plusieurs exemples :
J’ai le cas d’une ZAC, ancienne propriété de la SNCF qui avait racheté les terrains au milieu du XIXe siècle. Les commanditaires voulaient vérifier le parcellaire pour garantir les titres de propriété et ne pas se retrouver avec des procès sans fin. Je suis remonté jusqu’en 1850 !
Autre exemple, pour les monuments ouverts au public ou dont les propriétaires ont lancé une activité de chambres d’hôtes, une étude historique solide est un argument de vente et de communication indispensable : les anecdotes du propriétaire seront vraies, Louis XIV a vraiment dormi dans cette pièce, les guides vont arrêter de dire n’importe quoi ;). Et puis, si ces mêmes propriétaires veulent effectuer des travaux, je peux les accompagner pour démêler l’ancien du récent, l’essentiel de l’accessoire. Même chose pour les dossiers de demande de subvention : il est évident qu’avoir une étude historique à sa disposition renforce la crédibilité pour obtenir des crédits.
Au-delà de ton métier qui a l’air passionnant, quel regard portes-tu sur la protection du patrimoine en France ?
Tu me poses une question piège ! Je dirais qu’il y a un équilibre très délicat à trouver entre la juste conservation du patrimoine et la nécessité de vivre dans son époque et avec les contraintes actuelles. La particularité de l’architecture est que, souvent, on vit dedans. Certains architectes l’oublient d’ailleurs et on se souvient tous d’une bibliothèque parisienne très connue qui a été conçue… sans toilettes. Si le mur ne tient pas debout, il s’écroule. Et nous sommes obligés de le restaurer et de vivre avec, en quelque sorte, ce qui implique une évolution, des changements. Ce n’est pas figé. D’ailleurs si c’était figé, « sous cloche », cela n’aurait aucun intérêt : nous ne vivons pas dans un musée ! Les gens nous voient parfois comme des casse-pieds de première classe : ils n’ont pas toujours tort, il faut l’avouer… Alors que notre but est de donner du sens au patrimoine (patrimoine : vint du mot père, ce que nous ont légué nos pères, nos ancêtres). Et pour répondre à une question que tu vas certainement poser, peut-on détruire ? Au risque de choquer, je dirai : si on ne peut pas faire autrement, oui ! Il faut savoir dire que tel monument n’a aucun intérêt architectural ou historique. Et en même temps, savoir dire que ce petit bâtiment de rien du tout est un formidable témoin du passé. Le scientifique s’intéresse à tout, mais ne s’extasie pas devant tout…
Le mot de la fin ?
Que cela soit pour les visites guidées ou les études historiques, mon but est bien de retrouver le sens du bâtiment et de le transmettre. Par exemple, aujourd’hui, dans les constructions actuelles, il est nécessaire de mettre en place une signalétique pour indiquer où est l’entrée, car le bâtiment lui-même ne l’indique pas. Ce qui était impensable auparavant : il fallait que l’architecture soit signifiante, sans compter les aspects pratiques. Alors, évidemment, on ne comprend pas toujours le pourquoi du comment des bâtiments anciens. Autre exemple que tout le monde connaît : les escaliers de service n’ont plus d’utilité « sociale » aujourd’hui, ils sont devenus des sorties de secours. Mais il faut quand même comprendre pourquoi dans les immeubles, il y avait deux escaliers, ou bien des couloirs étroits dans les appartements.
Quand on connaît bien un monument, les pierres finissent par parler. Et on comprend l’histoire des personnes qui l’ont construit, habité. Une église, un château a été construit par des personnes sachant très bien ce qu’elles faisaient, elles ont aussi voulu nous en faire hériter. A nous de retrouver cela et de partir à la recherche de quelque chose qui n’a pas été transmis. Le savoir existe, je ne l’invente pas : il y a peut-être la solution dans un carton d’archive, sur le bâtiment ou dans les mémoires.
Merci beaucoup Léonore !!
Pour joindre Léonore (si vous voulez passer commande par exemple, pour votre appart’ parisien ou le château de votre grand’mère, hé, hé… ou tout simplement la féliciter), contactez Artetvia qui transmettra.
Pour son centième article publié, Artetvia est particulièrement honoré de recevoir Henri Adam de Villiers. Cette interview est aussi un hommage car Henri fait partie des personnes qui ont compté dans la formation artistique de l’auteur de ce blog. Indéniablement.
L’interview est longue, certes, mais tellement passionnante qu’elle n’est pas publiée en deux volets séparés, même si elle comptera « double » dans le calendrier éditorial du site. Et encore, il a fallu couper nombre de passages…
Bonjour Henri, de qui va-t-on parler aujourd’hui : du « monstre sacré » de la musique ancienne ? Du maître de chapelle ? Du spécialiste de Marc-Antoine Charpentier ? Et encore, je n’évoque pas tes autres métiers…
Je préfère choisir la casquette de maître de chapelle car, à mon sens, la musique sacrée n’a de sens qu’à travers la liturgie. Ce sera d’ailleurs l’essentiel de mon propos.
Tu es Réunionnais.
Oui, je suis né à la Réunion, d’une famille installée là-bas depuis plusieurs siècles. Et j’y suis encore très attaché, même si j’habite Paris depuis 25 ans. Ma famille y réside encore et je rentre sur mon île chaque année ! Pendant mon adolescence, je chantais dans une chorale où j’ai appris les bases classiques de la musique liturgique, à savoir le grégorien et la musique de Palestrina et de Victoria. Et puis, vers l’âge de 15 ans, à Paris (où je passais régulièrement les mois d’été), j’ai eu la chance de rencontrer Maxime Kovalevsky, déjà bien âgé à l’époque, immense musicologue, maître de chapelle et… mathématicien, issu d’une famille ayant fui la Russie en 1917. J’ai passé des heures et des heures à discuter avec lui. Ce fut un éblouissement et je lui dois beaucoup. Maxime a d’une part beaucoup cherché à concilier le fait d’être orthodoxe et le fait d’être Français : en effet, l’orthodoxie a une vision très « nationaliste » de la religion, au contraire du catholicisme qui se veut universel. En bref, si on est Russe, on est forcément chrétien et orthodoxe. C’est d’ailleurs une des clés permettant de comprendre bien des choses dans la Russie actuelle. Et d’autre part, pour revenir à la musique, Maxime a beaucoup travaillé sur la singularité de la musique liturgique, avec quelques critères qu’il a formulés : il n’y a pas de mesures car cela contraint la parole, la parole devant primer sur la mélodie ; le caractère formulaire est indispensable pour permettre une mémorisation plus aisée ; et enfin, c’est une musique uniquement vocale car seule la voix humaine est digne de chanter Dieu.
Evidemment, c’est une conception très orientale de la musique liturgique, mais nous pouvons nous en inspirer pour remettre notre musique occidentale sur ses pieds. Pour un oriental, qu’il soit russe, syrien, indien, irakien, géorgien ou égyptien, il est inconcevable de chanter pendant une messe : les chantres chantent la messe, la musique étant constitutive de la liturgie et les chantres ayant une fonction liturgique et pas seulement esthétique. Rien que cela devrait nous faire réfléchir ! Deuxième grand point, l’attachement à la tradition : un iconographe écrit une icône (oui, on écrit une icône, on ne la peint pas – Note d’Artetvia) en reproduisant ce qui existe déjà. Il reçoit et ensuite il transmet : bien entendu, le résultat final est différent du modèle, mais en aucun cas, il n’y a rupture. Cela permet d’éviter d’y imposer sa propre subjectivité. C’est la même chose en musique liturgique, dès que l’on pense être « à la source de… », cela ne va plus. C’est une tentation qui existe depuis longtemps et on compte maints exemples dans l’histoire : immanquablement, dès que l’on a voulu revoir la musique liturgique de fond en comble, ça a échoué. Si on suit le modèle, ça ira, bien entendu, plus ou moins selon les talents personnels des artistes.
La musique liturgique orientale t’a donc fortement influencée
Oui, et je la pratique très régulièrement car j’assure la direction du chœur de l’église catholique russe de Paris, qui est de rite oriental. Il faut noter d’ailleurs que la musique orientale et la musique occidentale ont des racines communes, c’est évident. Après, le génie des peuples les a transformées chacune de leur côté, mais la base est la même. Je pense par exemple aux huit modes que l’on retrouve dans le chant grégorien comme dans le chant russe, géorgien ou éthiopien. On pense que ce système est né en Syrie vers le IVe siècle, aux débuts du christianisme donc. En revanche, la principale différence entre l’Orient et l’Occident est l’unité orientale et le hiatus des formes en Occident. En Occident, au cours d’un même office, vous avez du grégorien, de la polyphonie, des cantiques, de l’orgue, toutes formes musicales différentes et autonomes. En Orient, vous avez la même forme et le même mode au cours du même office, ce qui donne immédiatement de l’unité et évite la distanciation avec ce qui se passe dans le chœur et qui plus est, à l’autel.
Une autre découverte m’a beaucoup marquée : celle de la musique liturgique éthiopienne. La forme n’a pas bougé depuis le IVe siècle. C’est incroyable ! C’est un peu comme si nous revenions au Moyen-Age occidental : toute la vie de la population est centrée sur la liturgie, alors qu’en Occident, très rapidement, l’Eglise a incité les fidèles à la piété personnelle, et non plus à la liturgie communautaire. Autre exemple, le rapport à la partition : en Ethiopie, on écrit encore des manuscrits à la main (on imprime aussi sur des imprimantes modernes, bien entendu) qui incitent au respect du texte… et au chant communautaire, même si, en fait, les chantres connaissent les partitions par cœur !
Revenons à l’Occident, tu es maître de Chapelle à l’église Saint-Eugène, dans le IXème arrondissement.
En effet, depuis 1999, j’assure la direction de la Schola Sainte Cécile, chorale paroissiale constituée d’amateurs de niveaux très variés. Et j’essaie tant bien que mal de mettre en pratique ce que j’ai dit plus haut : retrouver le sens liturgique de la musique sacrée.
Car nous l’avons perdu ?
Honnêtement, je le pense. D’ailleurs, si je suis une espèce en voie de disparition, en tant que maître de chapelle permanent et rémunéré, c’est bien qu’il y a eu un bouleversement dans l’éco-système. Evidemment, les chants « peu heureux musicalement » ne datent pas seulement des années postérieures aux années 60, le XIXe siècle fourmille de cantiques mièvres et très datés. Après, ils étaient principalement chantés dans les écoles, au catéchisme et dans les petits séminaires, et en réalité, peu au cours des messes. Et de même, le chant grégorien a eu ses périodes de gloire et ses périodes de déclin. Dans les années 50, avant le concile Vatican II donc, on ne compte que 5 paroisses parisiennes chantant le propre complet tous les dimanches. Depuis sans doute la deuxième guerre mondiale, nous avons donc été coupés de nos racines. A nous de retrouver le sens du chant liturgique en évitant deux écueils :
l’esthétisme à outrance : ce n’est pas parce que c’est beau que c’est adapté à la liturgie. N’oublions pas que l’objectif est de chanter la messe et non de chanter à la messe. Alors, chanter le O Magnum Mysterium de Victoria, une superbe pièce d’ailleurs, à un mariage en plein été, c’est certes très beau, mais cela n’a aucun sens.
le médiocre : le chant liturgique est exigeant. Prenons les moyens pratiques et techniques pour être à la hauteur. Formons-nous, travaillons, progressons. Et puis, nous chantons pour Dieu, ça devrait nous pousser à donner le meilleur de nous-mêmes.
Dans la même veine, pourquoi ton goût pour la musique baroque ?
Je ne parlerais pas de mon goût pour la musique baroque, mais plutôt pour la musique française. Les Français ont des complexes vis-à-vis de leur propre musique. Et cela ne date pas d’aujourd’hui car au XVIIe siècle, Louis XIV luttait contre la tendance de voir l’herbe plus verte chez le voisin. Dès le XVIIIe, les Français pensaient que la musique italienne ou allemande était bien meilleure ! Il faut dire qu’en France, la musique sacrée est restée longtemps dans le strict cadre liturgique, contrairement à l’Italie ou le chant sacré était le prétexte de performance artistique : des pièces longues et spectaculaires, des vocalises à n’en plus finir, des chanteurs et chanteuses élevés au rang de diva, etc… En France, il y a peu de longues oeuvres magistrales et des messes comme celles de Vivaldi ou de Bach sont impensables à cette époque. Et pourtant, aujourd’hui, on ne connait qu’elles. Alors que des trésors existent dans notre pays.
J’aime faire découvrir de nouvelles pièces et sortir des sentiers battus. Evidemment, depuis 30 ans, il existe un vrai renouveau pour la musique baroque française mais d’une part, c’est assez limité et d’autre part, cela touche un public très restreint.
Limité car par exemple, malgré les efforts du CMBV, des Arts Florissants, du Concert Spirituel etc., qui ont mené un très gros travail, seule 10% de la musique de Charpentier est éditée, alors que tout Mozart ou tout Bach est imprimé depuis bien longtemps. Quant à Henry Du Mont ou Michel-Richard de Lalande, les éditions (imprimées ou sonores) restent assez confidentielles.
Un public restreint, car un responsable de salle, s’il veut la remplir, va programmer, en caricaturant un peu : Carmina Burana, le Requiem de Mozart, Le Boléro de Ravel et les Quatre Saisons de Vivaldi. C’est tout ! Et puis, dans les églises paroissiales, il n’y a plus ni les compétences, ni la volonté du clergé pour mettre en place cette musique dans son cadre naturel. C’est vraiment dommage !
C’est pourquoi, j’aime faire sortir de l’oubli outre Marc-Antoine Charpentier (Henri ne le dit pas, mais pendant longtemps, c’est lui qui écrivait les articles sur la musique baroque sacrée française et notamment Charpentier dans Diapason…), Sébastien de Brossard, Jean Veillot, Eustache du Caurroy, Antoine de Bertrand, Charles de Courbes, mais aussi pour le XIXe et le XXe, Nicolas Mammès Couturier ou Théodore Dubois. Le début du baroque est particulièrement intéressant et adapté à nos oreilles contemporaines, contrairement peut-être à la Renaissance et son écriture contrapuntique très complexe, parfois difficilement audible ou du moins compréhensible aujourd’hui.
Pour finir – il faudrait un livre entier et pas seulement une interview, mais bon – la Schola Sainte Cécile édite ses propres partitions. Techniquement comment t’y prends-tu ?
Il faut avouer que maintenant, c’est simple, je clique ! Avant, il fallait se déplacer, beaucoup chercher, prendre les quelques rares photos autorisées, montrer patte blanche, etc… J’allais le plus souvent à la BNF et la Bibliothèque Municipale de Versailles très riche elle aussi : il m’arrivait de consulter de vieux manuscrits à côté d’un enfant lisant une BD, c’est une bibliothèque municipale, pas universitaire ! Maintenant, un immense fond de la BNF est en ligne. C’est beaucoup plus simple.
La transcription m’a beaucoup appris, sur la technique ou la théorie et plus encore sur l’esprit et l’intelligence de la musique. Evidemment, il faut avoir quelques connaissances préalables, connaître les systèmes d’écritures anciens, savoir réécrire les parties manquantes… Au XVIIe, il était courant de n’écrire qu’une seule voix ou deux : les gros cahiers de Nivers pour les Demoiselles de Saint-Cyr regorgent de pièces « à trous » ; même chez Charpentier, il faut compléter. Ce qui était évident et naturel pour les chanteurs et musiciens de l’époque ne l’est pas forcément pour nous !
Autre exemple du changement qu’a apporté internet, maintenant de très vieux manuscrits sont accessibles, ce qui n’était pas le cas avant : c’est le cas du Psalterium parisienses de 1494. Ah oui, c’est un autre sujet, mais je suis très fan de la liturgie parisienne, avant la romanisation du début du XXe siècle. Pour un prochain article ?
Des projets ?
Bien sûr ! En ce moment, j’essaie de développer avec la Schola, la polychoralité, très en vogue en France et en Italie aux XVIe et XVIIe. Nous préparons un séjour à Rome en octobre ou nous devrions chanter à Saint-Pierre et donner par ailleurs une messe à quatre chœurs de Charpentier, l’architecture romaine s’y prêtant, avec ses multiples tribunes. C’est passionnant et exigeant car cela nécessite non seulement un chœur exercé, une parfaite synchronisation, sans parler de la justesse des voix !
J’ai évidemment quantité d’autres projets. Plus prosaïquement, je cherche en ce moment à renforcer les voix féminines de la Schola et lance un appel à toutes les parisiennes qui souhaiteraient rejoindre notre chœur !
En plein cœur de Paris, Cynthia me reçoit dans son atelier, un ancien local de confection de boutons – le Sentier n’est pas loin – ouvrant sur une grande cour pavée. Un mur couvert de peintures de toutes tailles, des dizaines de pinceaux traînant sur la table, de grands cartons à dessins débordants, des livres d’art en quantité à demi-masqués par un voilage : c’est l’univers de Cynthia qui me reçoit avec sa gentillesse et sa spontanéité habituelles !
Comme pour beaucoup de choses, cela remonte à l’enfance. Je suis née à Hawaï, descendante d’une des cinq familles « fondatrices » de l’île – l’aïeul Cooke, missionnaire de son état, a épousé une Montague (très shakespearien comme nom – note d’Artetvia) ; mon arrière-grand-mère a fondé l’Honolulu Art Museum… dans la maison familiale. C’est elle qui a fait venir les premiers Gauguin sur l’île, alors que les gens là-bas y étaient plutôt indifférents voire opposés – et pourtant Tahiti et Hawaï sont culturellement très proches. Mon père était sculpteur, mon frère photographe… Toujours est-il que j’ai grandi dans un milieu familial favorable à l’éclosion d’une carrière artistique.
De mon île, j’ai débarqué à Paris pour faire des études d’architecture d’intérieur. Pourquoi Paris ? C’était le rêve de ma mère… et notre cuisinière était française. Rapidement, je me suis tournée vers le graphisme et la publicité, secteur dans lequel j’ai travaillé pendant longtemps, en tant que directeur artistique. Ayant choisi de m’occuper de mes quatre enfants, j’ai cessé cette activité et en ai profité pour reprendre le dessin et la peinture. C’était il y a quinze ans. J’ai repris quelques cours aux Beaux-Arts et aux Ateliers de Paris pour me « refaire la main ». Depuis, je peins.
Quel style de peinture ?
Je peins à l’huile et très souvent sur papier. J’aime le côté fragile et éphémère du papier. La toile est beaucoup moins spontanée. Le papier absorbe, alors que la toile glisse. Mais c’est sûr, le papier est moins « vendeur », pour les expositions c’est plus compliqué. Par exemple, je passe beaucoup de temps sur l’encadrement, qui, à mon sens, fait aussi partie de l’œuvre.
Je peins à partir de photos que je prends. Je me promène souvent à Paris, à pied ou à vélo, avec mon appareil et je mitraille. Il faut dire que Paris est une ville merveilleuse pour ça, très « graphique ». Ou bien, je peins directement d’après modèle : les natures mortes et les nus. Pendant des années, j’ai peint des nus, maintenant, je me tourne davantage vers les paysages.
Du figuratif donc !
Oui. C’est peut-être très classique, mais je peins ce que j’aime, et souhaite produire avant tout de belles choses et susciter chez le spectateur de l’émotion, une paix intérieure, de la contemplation, tout simplement. Je ne cherche pas spécifiquement à représenter du « concept » ou à soi-disant choquer, cela ne m’intéresse pas. Je préfère parler d’intuition raisonné : je pars d’une intuition, d’une émotion que j’ordonne ensuite et à laquelle je soumets une technique et un savoir-faire.
Je suis plutôt « impressionniste » et ne m’attache pas trop aux détails. J’aime l’eau, souvenirs de mes origines hawaïennes sans doute, la couleur, le graphisme et la composition ; je suis moins sensible à la lumière et aux détails. Je dessine beaucoup, en témoignent les nombreux carnets de croquis que tu peux voir ici. Je commence toujours par un dessin au fusain et immédiatement après, j’applique la peinture. La première séance de travail est la plus importante : je sais immédiatement si cela va « fonctionner » ou pas. Au cours de cette première séance, il faut aller le plus loin possible. Les suivantes sont consacrées aux retouches : on prend du recul avec l’œuvre. Après, il est toujours difficile de définir quand l’œuvre est terminée ; il faut savoir s’arrêter car trop de retouches tuent.
Et vous avez des modèles, des sources d’inspiration ?
Je n’ai pas de modèle unique. Evidemment, tous les impressionnistes, Toulouse Lautrec, Cézanne… et tant d’autres. Certains américains contemporains aussi, même si je trouve qu’ils privilégient trop la technique et la précision au détriment du coup d’œil et du goût.
Je n’ai pas trop la hantise de la page blanche ; en prenant mes crayons, je griffonne et l’inspiration va venir petit à petit, comme un échauffement. Et puis, je visite constamment des expositions pour me mettre au contact d’autres œuvres.
Y a-t-il des œuvres que vous auriez aimé garder ?
Oh oui ! J’ai vendu des peintures que j’aurais dû copier pour moi. Il m’arrive de peindre plusieurs tableaux à partir de la même photo, histoire de garder une trace.
Et comment arrivez-vous à vous faire connaître ?
Difficilement… En fait, le principal moyen de communication est le bouche à oreille. J’organise régulièrement des expositions, dans mon atelier, chez des amis, et plus rarement en galerie car c’est parfois cher. Les salons le sont également ! Je participe à des concours – j’ai même gagné une fois le prix de la Fondation Taylor !
Des projets ?
Oui, bien sûr ! Dans les mois à venir, je vais exposer à l’hôpital américain de Neuilly. Autre projet, bien différent, des amis « m’offrent » un mur blanc dans leur appartement à couvrir de peintures ! C’est très enthousiasment !
Merci Cynthia !
Vous voulez offrir ou vous offrir une oeuvre de Cynthia de Moucheron ? Contactez Artetvia !
Artetvia a le plaisir de vous faire découvrir un pan de l’art jusqu’ici peu abordé, du moins directement : l’architecture. Je vous propose un double entretien : avec Marc Ganuchaud, architecte du patrimoine puis avec son fils Joachim, également architecte du patrimoine, eux-mêmes fils et petit-fils d’un grand architecte de la région nantaise, Georges Ganuchaud.
Bonjour Marc, question rituelle, comment devient-on architecte, et qui plus est, architecte du patrimoine ?
C’est une longue histoire car elle remonte à mon enfance. Je vois deux origines au choix de ce métier.
La première, l’exemple familial. Mon père était architecte, l’un de ses cousins était premier grand prix de Rome en architecture. Je baigne donc dans ce milieu depuis ma naissance. J’ai notamment deux souvenirs bien précis qui ont orienté mon choix : le jeudi, la grande récompense était d’accompagner mon père sur les chantiers. J’étais très fier de lui, de voir qu’il pouvait imaginer et construire de beaux bâtiments. Ensuite, si le travail de réalisation et de démarchage commercial s’effectuait la semaine, mon père créait le week-end. Je le vois encore le dimanche après-midi à sa table à dessin, mes frères et moi en train de dessiner à ses côtés tout en écoutant des opérettes. Evidemment, cela m’a donné le goût du métier.
Par ailleurs, j’aimais dessiner et, sans fausse modestie, je me débrouillais bien : en primaire, j’ai gagné le concours de dessin et au collège, je dessinais pendant les cours (surtout les cours d’allemand : du coup, je ne sais pas parler allemand), notamment les épisodes des personnages du manuel, ce qui occasionnait l’indulgence du professeur. Dès ces années, j’ai su que je voulais être architecte.
Les études d’architecte sont longues, n’est-ce-pas ?
Six ans ! Après un bac littéraire – j’étais nul en maths – je suis entré à l’école d’architecture de Nantes : à cette époque, le bac suffisait. Le concours n’avait lieu qu’après la première année. J’ai achevé mes second et troisième cycles à Paris. A l’époque, je ne m’intéressais pas trop au patrimoine. Le premier « accroc » est venu pendant la réalisation de mon mémoire de fin d’étude : ayant été choqué par la manière dont la côte vendéenne avait été massacrée (à Saint Jean de Monts par exemple), j’avais proposé la construction d’un VVF, démontable après l’été. Une utopie de jeune architecte…
J’ai travaillé ensuite chez André Chatelin (prix de Rome en 1943), une personne remarquable. Et l’un de mes premiers chantiers fut la construction de l’hôpital du Val de Grâce : on construisait du moderne à côté de superbes bâtiments classiques. Comment marier les deux architectures ? A ce moment a germé l’idée d’intégration d’un bâtiment dans son environnement.
On ne le faisait pas avant ?
Ce n’était pas la priorité. On ne nous l’apprenait pas à l’école. De toute manière, on ne faisait de l’histoire de l’art qu’en première année. Encore maintenant, les grands architectes peuvent concevoir de très beaux ouvrages, mais absolument pas conçus pour leur environnement. On a fait des progrès dans ce domaine bien entendu, mais ce n’est pas systématique. La deuxième secousse a été un projet de bâtiment de l’INPI à Bordeaux. Là aussi, il fallait construire du neuf dans un quartier ancien. N’y tenant plus, j’ai voulu approfondir ce domaine, j’ai décidé alors de passer un diplôme d’urbaniste, tout en continuant à travailler en cabinet d’architecture.
J’ai ensuite travaillé au CAUE du Loiret. En bref, le CAUE est un service départemental venant en aide aux petites communes pour les aider à améliorer l’urbanisme et l’architecture de leur commune. C’était passionnant : j’ai été confronté à la réalité du patrimoine.
Et après, vous êtes devenu architecte de la ville de Saumur.
C’est exact ! En 1984, le nouveau maire cherchait un architecte qui soit sensibilisé au patrimoine. Il faut dire que la ville compte 55 monuments historiques. Vous le savez, il y a 500 mètres de protection autour d’un monument historique… ce qui fait que 80% du territoire de la commune est protégé.
Et que fait un architecte pour une ville ?
Il est principalement en charge du suivi de la conception des nouveaux projets et des permis de construire. Il travaille avec l’Architecte des Bâtiments de France, qui est le « bras armé » du Préfet dans ce domaine. Mon rôle consiste à défendre l’intérêt de la mairie, l’ABF celui de l’Etat. Ce n’était pas toujours évident, surtout quand il est question d’esthétique. Qu’avait-il de plus que moi ? Nous étions tous les deux architectes. Ah, si, il avait fait Chaillot ! Pas moi.
Chaillot ?
L’école s’appelait auparavant « Centre d’études supérieures d’histoire et de conservation des monuments anciens ». Après un concours, il y a deux ans d’études à temps partiel – la plupart des « élèves » étant des architectes continuent à travailler. C’est une formation très exigeante et passionnante. A la sortie, on est architecte du patrimoine (Marc ne le dit pas mais il a eu la meilleure note sur plusieurs exercices importants – Note d’Artetvia). Ca y est, je me suis mis à parler le même langage que l’ABF et tout s’est mieux passé. Certains lauréats peuvent ensuite passer le concours d’architecte des Monuments Historiques. J’avais passé la limite d’âge. Avant 2008, l’Etat leur confiait en exclusivité les grandes opérations sur les Monuments Historiques. Une belle rente… Depuis, un architecte du patrimoine peut aussi concourir pour des opérations sur des monuments historiques, hors domaines appartenant à l’Etat, toujours réservés aux architectes en chef des monuments historiques.
Un architecte d’une ville travaille aussi avec eux lorsque ils interviennent… sur les monuments historiques de la ville, c’est-à-dire souvent pour Saumur. Malgré des caractères « variés », ils sont toujours très compétents. Et j’avoue qu’en ce moment, cela se passe très bien. J’ai donc participé à la restauration du château de Saumur, de plusieurs églises, etc…
Certains craignent une « muséification » des villes historiques…
C’est l’un des dangers en effet. A mon sens, le bâti n’a d’intérêt que s’il vit. S’il ne vit pas, c’est une source de charges, et c’est tout. Deuxième point, les monuments anciens ont perdu leur fonction première : par exemple, le château de Saumur, avec ses remparts et ses tours, n’a aucun rôle militaire à l’heure actuelle. Il faut trouver une autre fonction qui soit cohérente avec les contraintes d’architecture. Et il faut adapter a minima le monument à ces nouvelles fonctions. Un exemple tout bête, personne n’imagine des bureaux sans sanitaires.
Mon rôle est justement de trouver la meilleure adéquation entre un usage nouveau, l’histoire du bâtiment et son environnement. C’est un travail très enrichissant et très stimulant intellectuellement. Après plus de 35 ans de métier, je ne regrette absolument pas d’avoir choisi cette voie exigeante et passionnante !
Merci Marc !
Rendez-vous avec Joachim Ganuchaud dans le prochain entretien d’Artetvia !