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Désolé pour cet article un peu long, mais le sujet est très vaste…
Ils sont chanteurs. Certains sont mal à l’aise en les écoutant, d’autres les adulent. En tout cas, ils ne laissent pas indifférents. On les appelle castrats, contre-ténors ou haute-contre. Leur point commun : leur voix atteint des hauteurs inégalées.
Cette voix existe depuis des siècles. Fréquente pendant la Renaissance, elle atteint son âge d’or au cours des XVIIème et XVIIIème siècles, avant de tomber dans l’oubli. Au début des années 1950, on la redécouvre, à la fois mystérieuse et envoûtante.
Sans entrer dans des détails techniques, sachez que, si les castrats chantent aigu presque « naturellement », du fait de leur handicap – ayant perdu une partie de leurs attributs masculins – les contre-ténors et haute-contre chantent tout ou partie en voix de tête. Essayez de chanter en fausset (tout le monde peut y arriver) : ils chantent comme ça, sauf que chez eux c’est beau. Ils peuvent donc interpréter des pièces dont la tessiture est normalement celle de femmes, altos ou parfois même sopranos (on les appelle alors sopranistes). A la ville dirais-je, ils ont une voix tout à fait normale, voire grave : écoutez parler Andreas Scholl, aucune ambiguïté, c’est bien un homme.
Tout d’abord, un petit mot sur les castrats, qui ont fait couler beaucoup d’encre et de curiosité mal placée. Le phénomène a touché principalement l’Italie du XVIème au début du XIXème siècle. Pour des raisons variées, à la fois religieuses (le fameux chœur de la Sixtine interdit aux femmes), culturelles (pas de femmes sur scène), voire financières, des enfants pré-pubères ont été châtrés pour qu’ils conservent leur voix d’enfant, tout en développant une puissance et une technique vocale d’adulte. Pour beaucoup de vies brisées à jamais (ce n’est pas parce que l’on est castrat que l’on chante bien !!), on compte quelques cas de réussite éblouissante. Le cas le plus célèbre étant celui de Carlo Broschi dit Farinelli, d’une stupéfiante virtuosité, alliée à une tessiture remarquable, triomphant sur scène et adulé des femmes comme des princes d’une bonne partie de l’Europe. A la fin du XVIIIème, la castration à des fins musicales est interdite par le Pape. Le recours aux castrats disparaît peu à peu : on ne possède qu’une unique série de mauvais enregistrements d’un vrai castrat, Alessandro Moreschi, chanteur à la Sixtine à la fin du XIXème siècle. Malgré une esthétique assez étrange pour nos oreilles contemporaines (le bel canto est parfois difficilement audible), c’est une voix assez fascinante et qui n’existe plus ! Aujourd’hui ils sont remplacés par des contre-ténors ou des femmes.
Après avoir été utilisée dans la musique religieuse et profane de la Renaissance – on pense aux chansons plus ou moins paillardes de Clément Janequin ou plus tardivement par toute l’école anglaise telle que Dowland ou Gibbons, la voix de contreténor / castrats a été largement utilisée par les compositeurs baroques. On pense notamment aux opéras de Caldara, Haendel (Giulio Cesare dont le rôle titre est confié à un castrat), ou Vivaldi (Teuzzone, avec en prime une virtuosité brillante demandée au chanteur – un vrai feu d’artifice disait Savall), aux pièces de Purcell ou de Porpora. La musique religieuse n’est pas non plus avare, avec le Stabat Mater de Pergolèse, écrit sans doute à l’origine pour castrats, des cantates de Bach… et bien entendu, un siècle avant, le Miserere d’Allegri, propice aux ornements les plus audacieux, malheureusement perdus au cours du XVIIIème siècle et dont il ne nous reste qu’un extrait bien connu, et du même coup chanté à chaque verset du petit chœur.
Avec la redécouverte du répertoire baroque, des instruments anciens (viole de gambe, luth…), la voix de contre-ténor est revenue. Les pionniers ont dû redécouvrir seuls les techniques spécifiques ainsi qu’un répertoire oublié depuis deux siècles. Alfred Deller, le premier d’entre eux, expliquait par exemple le désarroi de ses professeurs devant sa voix, ayant conservé la tessiture de son enfance. Depuis, quelques compositeurs du XXème ont écrit pour contreténor, je pense à Britten et son Songe d’une nuit d’été, mais ils restent peu nombreux, cette voix gardant l’image « baroque ».
Maintenant, écoutez les extraits que je vous propose. Le timbre est très particulier, très expressif, souple et précis, se rapprochant davantage de la voix d’enfant que de la voix de femme. Il est assez différent selon les chanteurs : si Scholl a une voix très sonore, chaude et assez « mâle », Jaroussky chante avec une voix beaucoup plus pure, presque féminine et le grand Dominique Visse une voix tirant sur le burlesque qui va très bien avec le personnage… Voici donc quelques exemples !
Mon contre-ténor préféré, Andréas Scholl qui chante ici une pièce de Dowland particulièrement poignante… et connue : Flow my tears
Le même mais cette fois-ci, il parle et il chante avec sa voix de poitrine – une voix basse (désolé, il y a une minute d’applaudissements avant)
Le timbre vraiment très particulier de Vincenzo Capezzuto accompagné par l’ensemble désormais bien connu l’Arpeggiata
Le canadien Etienne Cousineau, avec une voix vraiment aiguë
Et enfin, la voix inoubliable d’Alfred Deller
Une ignare a dit:
Et du coup, quelle est la différence entre un haute-contre et un contre-ténor ? Merci !
hilaire a dit:
Pour vous répondre brièvement : fondamentalement, un haute-contre est un ténor qui chante en grande partie en voix de poitrine et en partie en voix de tête (voix de fausset) – Le moment délicat est donc le passage entre ces deux types de voix (on pourrait même dire les moments délicats car il y a en fait deux passages – voix de poitrine – voix mixte – voix de tête).
A contrario, le contre-ténor chante exclusivement en voix de tête : sa voix naturelle (voix de poitrine) peut d’ailleurs tout à fait être une voix de basse comme Andréas Scholl ou de baryton (Philippe Jaroussky). La technique est donc différente… et tout aussi difficile.
Xav a dit:
Attention, un haute-contre ne passe pas véritablement en voix de fausset dans les aigus, il mixe la voix de poitrine et la voix de tête mais ne passe pas complètement en voix de tête. C’est une voix spécifiquement française qui a connu son âge d’or aux XVII et XVIII°. C’est pour cette voix que Lully et Rameau ont écrit des rôles magnifiques.
Mlle la Croate a dit:
Merci Hilaire de ce très bon article !! Andréas Scholl est vraiment extraordinaire. C’est un véritable plaisir de l’écouter. Continue comme ça 😉
Sild a dit:
Un haute contre possède la tessiture d’un vrai ténor et peut être appelé ténor aigu. Un haute contre (contre-ténor non ? – Note d’HV) a la tessiture proche d’une soprano d’ou la voix si aiguë de Jarrousky.
Mme la croate oui Andreas Scholl est extraordinaire
une passionnée de musique a dit:
Superbe article!! Et des extraits musicaux très bien choisis, merci!! je me permettrai juste d’ajouter une petite précision, le tenorino Vincenzo Capezzuto n’est pas sicilien 🙂
hilaire a dit:
Merci pour votre remarque ! En effet, Vincenzo Capezzuto est né à Salerne en Campanie et non en Sicile – bon cela reste dans le sud de l’Italie 😉 L’erreur est corrigée !
mjlebras a dit:
j’a,dore écouter Luc Arbogast ,dans quel catégorie peut-on le classer,il semble tellement pouvoir tout chanter très naturellement tant dans les notes très hautes que dans des plus basses ,somptueuses les unes comme les autres;avec l’acoustique d’une église c’est encore plus prenant,
Xav a dit:
Encore une petite remarque, dans l’extrait où Andreas Scholl chante en voix de poitrine, il affiche une voix de baryton et non de basse (il a même du mal à sortir les notes graves de la tessiture de baryton).
Sebastien Cochelin a dit:
MAgnifique articule que j’ai lu avec passion. Très pédagogique, il le faut.
Par contre désolé, mais il n’y a pas de passage poitrine et mixe. C’est les scientifiques qui nous le rappellent. On parle de mécanisme I (poitrine) et II (Fausset), il y a une voix mixte dans le haut de la voix de potrine et dans le bas du fausset, mais physiologiquement il y a une barrière. Il se trouve en fait que par leur entrainement et leur art, les chanteurs arrivent à cacher le point de passage. Mais la voix mixte n’est pas un mécanisme laryngé. On peut parler de voix grave, médium et haute, en terme de résonance, mais cela peut etre fait dans le même mécanisme laryngé (I ou II).
Après depuis le ténor Gilbert Duprez(ou Jean-Philippe ? :-)) en France, l’usage du Coperto (voix couverte) permet d’atteindre les fameux Ut de poitrine, en mécanisme I (mais une résonnance aigue – palatale) Richard miller appelle ça la voce piena di testa.
Max G a dit:
Effectivement super article !! La fameuse question de sur la tessiture, vient de tomber !!
Je recycle la définition de l’origine du terme « contre ténor chez Wikiédia :
Qualifier de « contratenor bassus » (« contre la teneur, en bas »), vite abrégé en bassus (mais donnant aussi basse-contre) ;( !? ) Ce qui serait pour moi éventuellement des contres ténors ou hautes contres comme henri Ledroit ou Gérard Lesne ( super passage de voix de tête a mixte ).
« contratenor altus » (« contre la teneur, en haut »), abrégé ou traduit en contratenor, contra, altus (it. alto), contralto et haute-contre. ( personnellement je remplacerai « haute contre » pour le déplacer dans la première catégorie « contre ténor bassus » et remplacerai ici par mezzo soprano mâle ( pour finaliser le circuit définissant les catégories de tessitures mixtes et faussets chez les hommes.
Je pense qu’il faudrait reconsidérer la définition de « contre ténor bassus » qui pourrait nous donner bien des sonorités à imaginer notamment en musique ancienne.
Finalement la tessiture de ce « Contre ténor bassus » ne serait’elle pas équivalente à celles de nos supers ténors actuels ( en gros do à contre-ut) ?
Hélène CHAMPAGNE a dit:
Merci pour cet article bien intéressant et instructif et pour les illustrations sonores. Beau travail !
Il y a un point que je n’ai pas compris : le pape interdit la castration au 18ème siècle… mais un castrat chante à la Chapelle Sixtine à la fin du 19ème siècle. Je ne pige pas cette contradiction.
Hélène (en Champagne)
hilaire a dit:
La réponse est simple : Alessandro Moreschi est un castrat « par accident ». Il n’a pas subi cette opération dans le but d’en faire un chanteur de haut niveau, pratique fort peu catholique il faut le reconnaître…
Hélène CHAMPAGNE a dit:
En effet !
Merci, Hilaire, pour votre réponse (rapide, qui plus est).