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De quel instrument de musique joue-t-on habituellement dans une église ? Vous répondrez tous inévitablement d’un air goguenard : « ben de l’orgue ».

Au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, hormis dans certaines cathédrales et grandes églises, on vous aurait répondu : « on joue du serpent, c’est évident ! ». L’évidence aurait-elle disparue, non seulement de nos églises, mais aussi de nos mémoires ?

Alors de quoi s’agit-il ?

Le serpent est l’instrument le plus grave de la famille des cornets à bouquin – rien à voir avec les livres, cela vient de bocca, la bouche en italien. Chaque membre de cette famille un peu oubliée est un instrument à vent, de la famille des cuivres mais fabriqué en bois (bon, aujourd’hui, dans un orchestre symphonique, la flûte traversière, pourtant en métal, fait partie des bois, alors…) et souvent recouvert de cuir très fin. Le corps comporte 6 trous et une embouchure proche de celle d’une trompe de chasse ou d’une trompette. Si elle était droite, la basse serait trop grande et peu pratique, moralité, les inventeurs inconnus (l’abbé Jean Lebeuf 1687-1760 affirme qu’elle fut inventée par un chanoine de la cathédrale d’Auxerre du XVIe siècle, Edme Guillaume, mais cela n’a jamais été prouvé) ont choisi de lui donner une forme de S, d’où le nom de serpent.

SerpentL’embouchure est assez petite, ce qui fait que le son doit être à la fois fin et puissant, et ce n’est pas évident, en tout cas pour moi (j’avoue que je n’ai jamais réussi à sortir une note digne de ce nom d’un cornet). Comparé aux cuivres, le son est peut-être moins puissant mais beaucoup plus rond et doux. La justesse s’obtient à la fois par le mouvement des lèvres (comme la trompe de chasse) et par les doigts, ce qui donne un instrument d’accompagnement très souple et très adaptable aux voix pas toujours très justes. Ecoutez les extraits que je vous propose ci-dessous et vous entendrez le charme plein de rondeur et presque envoûtant de cet instrument.

Le serpent fut principalement utilisé dans la liturgie. L’instrument doublait les voix pour le plain-chant, doublait la voix basse pour les faux-bourdons (pour faire bref, de la psalmodie polyphonique) ou bien jouait une voix propre à la basse : on connaît par exemple des mélodies d’accompagnement des messes royales d’Henry du Mont dans la méthode de serpent d’Imbert. Il pouvait enfin faire partie intégrante des ensembles musicaux pour la musique polyphonique d’église et certains compositeurs ont spécifiquement écrit pour le serpent (Sébastien de Brossard, notamment dans sa Symphonie pour le Graduel SdB 230), mais la chose demeure rare. En plus, l’instrument est transportable, contrairement à l’orgue, et le serpentiste peut souffler dedans tout en marchant : très pratique pour les processions ! Cela permettait de soutenir le chant parfois hésitant de nos bons chanoines. Les serpentistes étaient engagés par les chapitres ou les paroisses, au même titre que les organistes, et autres musiciens. On a même retrouvé la trace d’un serpentiste officiel à la Chapelle Royale de Versailles, dont la présence et les émoluments sont attestés de 1664 à 1762.

Serpent à chevalA la même époque, dans la musique profane, le serpent est peu utilisé. Plus tard, il le sera davantage dans la musique militaire et par quelques compositeurs romantiques : Mendelssohn, Haydn ou Berlioz (dans la Marche au supplice de La Symphonie Fantastique). Jusqu’au début du XIXe siècle, l’instrument est encore couramment joué puisque les deux grandes méthodes connues, celle d’Imbert et celle de Métoyen datent respectivement de 1780 et 1812. Au cours du XIXe siècle, la pratique se perd, l’orgue le concurrençant fortement à l’église, les cuivres prenant le pas dans les fanfares. Après une longue période d’oubli, le serpent fait son retour, en même temps que la redécouverte de la musique baroque et renaissance. Il reste un instrument de continuo, d’accompagnement.

Aujourd’hui plusieurs ensembles de musique ancienne comptent un serpentiste dans leur rang ! Bientôt un retour dans les églises, cathédrales, collégiales, chapelles, abbayes… et fanfares ?

Le son du cornet, en instrument soliste, est magnifique.

Le serpent est plus grave (évidemment), en accompagnement, c’est pas mal du tout.

Doron Sherwin, cornettiste de l’Arpeggiata, à l’oeuvre.